Le rail face à l’urgence climatique

Deux nouvelles lignes à grande vitesse pour accélérer la transition écologique grâce au ferroviaire

Introduction

Le transport ferroviaire à grande vitesse, s’il présente certains inconvénients, est aujourd’hui notre meilleure alternative pour réduire la dépendance française au transport aérien. Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, il est urgent de construire de nouvelles lignes sur des trajets stratégiques, notamment pour relier Bordeaux à Toulouse et Marseille à Nice. Ces projets auraient un impact conséquent sur les émissions françaises de gaz à effet de serre – que nous chiffrons à près de 100 millions d’euros sur la base des travaux de l’économiste américain Nordhaus – et permettraient d’accélérer la relance de notre économie en créant 100 000 emplois durables, très locaux et non-délocalisables dans nos territoires tout en accélérant la reprise à hauteur d’un demi-point de croissance annuelle.

Le développement du ferroviaire permet d’offrir une alternative décarbonée au transport aérien et routier (I). Ce développement doit passer par une meilleure exploitation du réseau existant mais aussi par le développement de nouvelles lignes, point que nous développons dans cette note (II). La construction de nouvelles lignes sur les trajets prioritaires de Bordeaux-Toulouse et Marseille-Nice permettra de répondre à l’urgence écologique et sociale (III).

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1) Le développement du ferroviaire, une alternative décarbonée au transport aérien et routier

a) Le train est le moyen de transport le moins dépendant des hydrocarbures

b) Le développement du transport ferroviaire représente une alternative décarbonée aux vols intérieurs

2) Un compromis entre meilleure exploitation du réseau et développement de nouvelles lignes

a) Le développement d’une nouvelle ligne ferroviaire doit être rentabilisée du point de vue économique et environnemental

b) Néanmoins, la mauvaise desserte de certaines destinations par le transport ferroviaire se traduit par une sur-utilisation du transport aérien nettement plus polluant

3) Le développement des lignes à grande vitesse Paris-Toulouse et Paris-Nice est une urgence écologique et sociale

a) Un impact important sur les émissions de gaz à effet de serre

b) Des investissements à réaliser limités en comparaison de leur impact environnemental et qui participent de la relance keynésienne dont notre pays a besoin

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1) Le développement du ferroviaire, une alternative décarbonée au transport aérien et routier

a) Le train est le moyen de transport le moins dépendant des hydrocarbures

La réduction des émissions du secteur des transports est une priorité pour faire face à l’urgence écologique. En 2017, 30% des émissions de gaz à effet de serre en France étaient directement générées par les transports1. A titre de comparaison, l’industrie manufacturière n’est responsable que de 17% des émissions, et l’industrie de l’énergie de 12%. Les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports français ont augmenté de plus de 10% depuis 1990, alors que les émissions nationales ont diminué de 15% sur cette même période.

Évolution des émissions françaises des GES des transports

Source : Ministère de la transition écologique et solidaire

Ces émissions sont essentiellement liées à la route. Sur les 125 Mt d’équivalent-carbone émis en 2016, environ 95% étaient liés au transport routier2. Ces émissions sont essentiellement liées aux véhicules de particuliers, qui représentent les trois quarts du trafic routier et plus de la moitié des émissions associées. Les poids lourds sont beaucoup plus polluants mais représentent un trafic beaucoup plus faible.

Répartition des émissions françaises de GES selon le mode de transport en 2016

Source : Ministère de la transition écologique et solidaire

Le transport aérien contribue fortement aux émissions de gaz à effet de serre. Au niveau mondial, les vols commerciaux sont responsables de 2 à 4%3 des émissions de gaz à effet de serre. Ces émissions sont encore plus significatives lorsqu’on les rapporte au nombre de passagers impliqués. Un aller-retour entre Paris et New York génère près d’une tonne de CO2 par passager4. A titre de comparaison, un français moyen est responsable de l’émission de 11 tonnes de carbone par an.

Les émissions liées à l’aérien sont ainsi fortement inégalitaires : un petit nombre de passagers génère une proportion conséquente des émissions de gaz à effet de serre. Au total, le trafic aérien génère des émissions modérées par rapport à la route. Le problème est que l’avion concerne très peu de voyageurs et est socialement marqué. Un développement important du transport aérien n’est ainsi pas compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Or, depuis 2000, les émissions associées au trafic aérien (intérieur et international) imputables à la France ont augmenté de plus de 20%5.

Ainsi, si le transport aérien s’est fortement développé depuis les années 70, cela a d’abord bénéficié aux plus aisés. Les cadres représentaient 39% des voyages en avion en 1994, 40,5% en 2008. Selon l’enquête nationale transports et déplacements de 2008, la moitié des déplacements par avion est le fait des 2 % de personnes dont les revenus par unité de consommation sont les plus élevés. Cependant ce caractère inégalitaire est en partie lié au poids des déplacements professionnels : 47% des déplacements en avion des cadres étaient en 2008 à motif professionnel, contre 20% pour ceux des professions intermédiaires et seulement 3% pour les employés, 1% pour les ouvriers.

Nombre de voyages en avion par habitant selon le décile de revenu par unité de consommation du ménage

Source : La mobilité des Français, CGDD, 2010

Le transport aérien n’émet pas que du CO2. Les avions émettent de l’oxyde d’azote qui a également un impact sur l’effet de serre, notamment par sa transformation en ozone. Les cirrus ainsi que les traînées formées par la vapeur d’eau émise par les avions à haute altitude contribuent également à l’effet de serre. Si la durée de vie de ces gaz, vapeur d’eau et aérosols est très courte et ne persiste que tant qu’il y a des avions en l’air, le GIEC estime ainsi que l’effet sur le climat de ces autres émissions est deux à trois fois supérieur à celui du CO2 accumulé émis par les vols d’avion6.

Pour diminuer l’empreinte carbone des trajets de longue distance,le train est la seule alternative crédible au transport routier et aérien. Selon les statistiques de l’Agence Européenne pour l’Environnement (EEA), l’avion représente en moyenne 285 grammes d’équivalent-carbone par passager-kilomètre, contre 100 à 150 pour la voiture, 68 pour l’autocar et 14 pour le train7. Le transport ferroviaire est donc 20 fois moins polluant que l’avion, 10 fois moins que la voiture et 3 fois moins que l’autocar. Ces résultats dépendent cependant beaucoup du taux de remplissage considéré. Par exemple, prendre la voiture à 4 est moins polluant qu’emprunter un bus presque vide. Mais le train reste nettement moins polluant que la voiture individuelle ou l’avion.

Émissions de dioxyde de carbone dues au transport de passagers

Source : EEA :Carbon dioxide emissions from passenger transport

b) Le développement du transport ferroviaire représente une alternative décarbonée aux vols intérieurs

Certes, le secteur aéronautique fait partie des forces de notre pays. L’industrie aéronautique emploie près de 250 000 personnes en France8, sur des postes impliquant un niveau de qualification important. Elle représente 12% de nos exportations, avec 55,7 milliards d’euros d’exportations et 27 milliards d’euros d’excédent commercial en 2018. Cependant, à long-terme, la croissance du transport aérien est incompatible avec la transition bas-carbone. L’industrie aéronautique doit dès à présent être réorientée et permettre la production d’autres produits de pointe, tirant profit de l’expertise française en la matière. Les compétences développées par les ouvriers et ingénieurs de Safran, Airbus et de leurs sous-traitants peuvent être exploitées pour d’autres secteurs qui seront amenés à se développer comme le spatial, les industries de défense, le nucléaire, la fabrication d’éoliennes ou de panneaux solaires.

Les compagnies aériennes devront également opérer une reconversion accompagnée par l’État. Dans le cadre du rapport “Crise(s), climat : Préparer l’avenir de l’aviation”, le Shift Project propose d’accompagner une reconversion progressive d’Air France de l’aérien vers le ferroviaire.9 Le nombre d’emplois associés aux compagnies aériennes est en effet fortement lié au trafic aérien, donc à la consommation de carburant et aux émissions de gaz à effet de serre associées. A long-terme, ces emplois devront être réorientés vers des secteurs compatibles avec l’urgence écologique.

Cette transition pourra passer par la mise en place d’incitations au développement, avec l’aide d’Air France, d’un hub ferroviaire à l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle. Air France pourrait ainsi capitaliser sur son expérience dans le service aux passagers, la construction d’une expérience de voyage et la prise-en-charge des bagages pour construire un parcours fluide permettant d’orienter les voyageurs de ses liaisons internationales passant par Paris pour aller vers des villes françaises ou européennes sur lesquelles une offre ferroviaire est disponible. Un tel développement permettrait de réduire le trafic sur les liaisons courtes, tout en permettant aux compagnies aériennes de commencer à reconvertir une partie de leurs activités.

Pour atteindre nos objectifs de transition bas-carbone, le développement du transport aérien devra être limité aux trajets sans alternative ferroviaire crédible. Aujourd’hui, les voyages d’affaires et les vols internationaux avec escale à Paris rendent nécessaires certaines lignes malgré la présence d’une alternative ferroviaire. Ces lignes aériennes pourront être rendues inutiles en 5 à 10 ans par le développement de la gare de l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle et d’une offre ferroviaire suffisante, capable de se substituer à l’aérien. La transition écologique ne passe pas par la stigmatisation du transport aérien et de l’industrie aéronautique, mais par l’accompagnement des compagnies, industriels et usagers vers un mode de déplacement plus respectueux des exigences environnementales.

En l’absence d’une politique ambitieuse de développement de moyens de transport alternatifs, la nécessaire interdiction des vols intérieurs pénaliserait fortement nos territoires. Une part conséquente de l’emploi en France dépend d’entreprises multinationales, dont les équipes dirigeantes peuvent être basées à Paris, Londres, Berlin ou New York. Ces sociétés pourraient choisir de centraliser les activités de leurs filiales françaises à Paris si le reste du territoire devient difficile d’accès pour leurs cadres étrangers. En l’absence d’alternatives pour relier rapidement notre territoire au reste du monde, une interdiction des vols intérieurs conduirait à renforcer la centralisation de l’activité économique autour de Paris. Une interdiction des vols intérieurs ne doit donc pas être décidée sans que l’offre ferroviaire associée ne soit davantage développée. Des politiques doivent être mises en œuvre pour favoriser l’intermodalité et développer les liaisons entre Paris et ses aéroports et le reste du territoire, dans l’optique d’une interdiction des vols intérieurs.

Le covid-19 et l’avenir du transport sur longues distances

A l’heure du Covid où les flux sont largement ralentis, et le futur de l’aviation est en question, il est impératif de fournir des alternatives ferroviaires ambitieuses. Dans le même temps, face aux difficultés financières rencontrées par les transporteurs et face aux anticipations négatives sur la reprise du trafic, la question du financement de nouveaux projets LGV fait et fera l’objet d’une frilosité accrue à court-terme. C’est pourquoi il est important pour l’État d’assumer un rôle stratège en matière de transition climatique, en prenant les devants et en osant financer ces projets au moment même où doutes et inertie seront prépondérants du côté des financeurs et porteurs privés.

L’accompagnement des usagers devra ainsi passer par un développement accéléré du ferroviaire. Ce développement pourra se traduire par un plan d’investissements sur 10 ans, dans le cadre de la mise en place de la CADEC proposée dans la note “Financer la transition écologique et amortir la dette climatique” d’Hémisphère Gauche. L’expérience montre que cette approche fonctionne. Construire une ligne TGV permet effectivement, indépendamment d’une éventuelle interdiction de certaines lignes, un report modal de l’aérien vers le ferroviaire.

Le développement d’une ligne ferroviaire à grande vitesse permet systématiquement de réduire la fréquentation des liaisons aériennes. L’exemple de la construction de la Ligne à Grande Vitesse Sud Europe Atlantique fournit un premier exemple qui démontre que la construction d’une ligne à grande vitesse se traduit par un report modal de l’aérien vers le ferroviaire.

La branche sud-ouest de la LGV Sud Europe Atlantique a en effet été prolongée jusqu’à Bordeaux en juillet 2017, réduisant le temps de trajet entre Paris et Bordeaux de 3h à 2h04. Cette construction s’est traduite par une hausse du trafic ferroviaire et une baisse du trafic aérien entre Paris et Bordeaux, ce qui démontre un report modal de l’avion vers le train.

Le trafic ferroviaire mensuel a en effet augmenté de 12% entre la période qui précède juillet 2017 et la période qui succède à la construction de la ligne. Le nombre de trains moyens par mois sur la ligne Paris-Bordeaux est ainsi passé de 620 à près de 700. Sur la même période, le trafic aérien entre Paris et Bordeaux a baissé de 25%, passant d’1,6 millions de passagers en 2016 à 1,2 millions de passagers en 2019.

Le trafic entre Paris et Lyon, trajet sur lequel aucune évolution majeure n’a été recensée entre 2015 et 2019, n’a pas connu les mêmes évolutions sur cette période. Le trafic ferroviaire n’a pas augmenté, et le nombre de passagers empruntant la liaison aérienne entre Paris et Lyon a même augmenté de 8%. On peut donc considérer que la baisse de la fréquentation de la ligne aérienne entre Paris et Bordeaux n’est pas liée à une tendance du secteur, et a probablement été causée par la construction de la ligne à grande vitesse.

Trafic ferroviaire entre Paris, Bordeaux et Lyon (nombre de trains

Source : les auteurs à partir des données SNCF (régularité mensuelle TGV par liaisons)

Trafic ferroviaire entre Paris, Bordeaux et Lyon (nombre de trains

Source : les auteurs à partir des données SNCF (régularité mensuelle TGV par liaisons)

Trafic aérien entre Paris, Bordeaux et Lyon (nombre de passagers)

Source : les auteurs à partir des données SNCF (régularité mensuelle TGV par liaisons)

La construction de cette ligne à grande vitesse a également eu un impact sur le trafic routier. Le développement de la ligne à grande vitesse entre Paris et Bordeaux a également permis d’endiguer la croissance de la fréquentation de l’autoroute reliant les deux villes, de sorte que la fréquentation de l’autoroute en 2018 est 5% plus faible que la fréquentation projetée. Sur l’ensemble de l’année, cela représente plus de 450 000 trajets qui ont pu être évités grâce à la LGV. En supposant un report complet sur le ferroviaire, et en considérant un taux de remplissage moyen pour la voiture (optimiste) de 2 passagers10, cela représente une économie de 35 à 60 gCO2 par km-passager, soit en fourchette basse 9000 tonnes de CO2 économisées par an grâce à la LGV.

Trafic routier journalier sur l’autoroute A6, qui relie Paris et Lyon (nombre de véhicules moyen)

Source : les auteurs

Trafic routier journalier sur l’autoroute A10, qui relie Paris et Bordeaux (nombre de véhicules moyens, )

Source : les auteurs à partir des données data.gouv.fr (notre méthode retient le trafic journalier moyen minimal, calculé sur l’ensemble des sections de l’autoroute A10)

En guise de synthèse, les conséquences en termes de report modal du développement de la ligne à très grande vitesse entre Paris et Bordeaux sont les suivantes :

  • Une augmentation de 12% du trafic sur la ligne ferroviaire;

  • Une baisse de 25% du trafic aérien, ce qui représente 415 000 passagers annuels de moins sur la ligne, soit 79 000 tonnes de CO2 économisées par an;

  • Une inflexion de la croissance du trafic routier, conduisant à une baisse de 5% par rapport à la tendance, soit 9 000 tonnes de CO2 économisées par an.

L’étude des cas étrangers confirme cette tendance. DeRus et Inglada (1997)11 montrent que la construction de la première ligne à grande vitesse espagnole, entre Madrid et Séville en Avril 1992, a conduit à une baisse du trafic aérien sur cette ligne (de 694,400 passagers en 1992 à 352,200 en 1996) et de la part de marché associée (de 25% à 10%).

L’étude de la liaison Eurostar entre Paris et Londres par Behrens et Pels (2012)12 montre également que chaque étape conduisant à améliorer le temps de trajet et la fréquence des trains conduit également à une baisse du nombre de passagers de la liaison aérienne entre les deux villes. L’analyse des chercheurs montre qu’une baisse du temps de trajet sur cette ligne conduit à un report modal de l’aérien vers le ferroviaire, et que le passage de l’Eurostar en grande vitesse est en partie responsable du faible nombre de passagers aériens entre Paris et Londres.

L’analyse des liaisons aériennes et ferroviaires entre 161 villes européennes en 2012 par Dobruszkes, Dehon et Givoni (2016)13 confirme que plus la ligne à grande vitesse qui relie deux villes est rapide, plus le trafic aérien entre ces deux villes est faible.

Nombre de passagers Londre-Paris/Bruxelles

Source : Behrens et Pels (2012)

Le développement de lignes ferroviaires à grande vitesse permet donc d’inciter de nombreux voyageurs à prendre le train plutôt que l’avion ou la voiture. Puisque le train est beaucoup moins polluant que les autres modes de transport, le passage à la grande vitesse sur des trajets très empruntés permet de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, le passage à la grande vitesse d’une ligne ferroviaire implique des coûts, financiers mais aussi environnementaux. Le développement du ferroviaire à grande vitesse doit donc être abordé de façon stratégique, en priorisant les trajets vers Toulouse et Nice sur lesquels l’avion est très utilisé.

2) Un compromis entre meilleure exploitation du réseau et développement de nouvelles lignes

a) Le développement d’une nouvelle ligne ferroviaire doit être rentabilisée du point de vue économique et environnemental

Couvrir tout le territoire n’est pas envisageable, et le développement de nouvelles lignes doit être priorisé en fonction de leur impact environnemental et social. En effet, construire une ligne ferroviaire à grande vitesse coûte cher. L’extension de la LGV Sud Europe Atlantique entre Tours et Bordeaux en 2017 a coûté 7,8 milliards d’euros14, soit 22 millions d’euros par kilomètres. La moitié des investissements proviennent du secteur public et l’autre moitié d’un consortium d’acteurs privés impliquant Vinci, la Caisse des Dépôts, Meridiam et Ardian, rémunérés par la suite par les redevances liées au trafic. La LGV Bretagne-Pays de la Loire inaugurée en 2017 pour prolonger en direction de Rennes la LGV Atlantique a quant à elle coûté 3,4 milliards d’euros15, soit 19 millions d’euros par kilomètre de ligne.

Par ailleurs, le développement d’une ligne ferroviaire n’est pas neutre en carbone. Dans le cadre de la construction de la branche Est de la LGV Rhin-Rhône, l’Ademe16 a recensé l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre provenant des activités liées à la construction de la branche Est du LGV, sur 140 kilomètres, des rames et des équipements connexes, ainsi que de leur exploitation sur 30 ans. L’Ademe établit un bilan d’environ 2 millions de tonnes de carbone émises (soit 14 000 tonnes par kilomètre de ligne), et montre que 43% des émissions de gaz à effet de serre sont liées à la construction de la ligne, contre 57% à son exploitation sur les 30 premières années.

Le bilan carbone réalisé par l’Ademe estime ainsi que les émissions sont réparties de la façon suivante :

  • Les travaux de génie civil sont responsables de l’émission de 750 000 tonnes d’équivalent-carbone. Ces émissions sont essentiellement liées à la production des matériaux utilisés pour la construction, notamment la chaux utilisée pour traiter le sol, et au transport de ces matériaux par camion. 550 000 tonnes d’équivalent-carbone sont ainsi liées aux matériaux utilisés, dont 282 000 pour la chaux utilisée pour le traitement du sol, 51 300 pour les aciers d’armature et 47 300 pour le ciment contenu dans le béton. Le transport de ceux-ci par camion représente en comparaison 107 000 tonnes d’équivalent-CO2.

  • Les travaux d’équipements et bâtiments ferroviaires sont responsables d’émissions plus faibles, évaluées par l’ADEME à 296 kilotonnes d’équivalent-carbone au total, dont 95 pour la fabrication des rames TGV (notamment liées à la fabrication des matériaux utilisés, acier, aluminium, plastique, …) et 117 kilotonnes pour l’équipement ferroviaire (rails, caténaires, signalisations, …).

  • Les émissions associées aux opérations d’exploitation et de maintenance sur 30 ans sont essentiellement liées à l’énergie permettant de faire fonctionner les trains, qui est très peu carbonée dans le cas français.

Notons que si plusieurs des postes responsables d’émissions de gaz à effet de serre peuvent être réduits, certains présentent peu de marges d’amélioration. La fabrication de la chaux, de l’acier et de l’aluminium utilisés pour traiter le sol, fabriquer les rails et les rames, sont des procédés très consommateurs d’énergie et donc structurellement émetteurs de gaz à effet de serre.

Un aller simple entre Paris et Marseille en avion génère environ 200 kilogrammes d’équivalent-carbone par passager. La conception, construction et exploitation sur 30 ans de la branche Est du TGV Rhin-Rhône est estimée à 2 millions de tonnes d’équivalent-carbone, ce qui correspond à un trajet Paris-Marseille pour 10 millions de voyageurs, soit 6 fois le nombre de passagers de la ligne en 2019. Cette valeur est très élevée. Le passage de certaines parties du réseau ferroviaire français en lignes à grande vitesse doit donc être abordé de façon stratégique, avec un objectif de rentabilité économique, sociale et environnementale.

Une ligne peu fréquentée n’est pas forcément bénéfique pour l’environnement. Si le taux d’occupation du TGV est inférieur à 50 %, le bilan CO2 du TGV n’est pas meilleur que celui de l’autocar, mais toujours nettement meilleur que celui de la voiture ou de l’avion. Il est donc important de prendre en compte la fréquentation lors de la construction de nouvelles lignes à grande vitesse, en ciblant des flux permettant des taux d’occupation importants.

L’impact environnemental de la construction d’une nouvelle ligne n’est pas restreint aux émissions de CO217. En moyenne, une ligne à grande vitesse consomme une surface de 10 hectares par km de ligne. L’une des spécificités des lignes LGV est que leur construction nécessite des travaux de terrassement qui modifient la structure du paysage local, et peuvent accentuer des problèmes existants comme des inondations. L’effet de coupure engendré par la construction des rails peut quant à lui avoir un impact sur l’agriculture et sur la faune, empêchant cette dernière de traverser de part et d’autre de la ligne. L’impact sur la biodiversité n’est donc pas nul et doit être pris en compte dans les considérations de constructions de nouvelles lignes, ce qui est actuellement obligatoire via des études d’impact.

Il y a donc un équilibre à trouver entre construction de nouvelles lignes et entretien/exploitation du réseau existant, que ce soit en termes de coûts écologiques ou économiques. La présente note suggère de prioriser la construction de lignes LGV là où celles-ci auront l’impact le plus bénéfique, selon des critères de fréquentation, de couverture et de développement du territoire, ainsi que de potentiel de report modal de l’avion et de la voiture vers l’usage du train.

Les grands axes denses sont d’excellents candidats à la construction de LGV. Celle-ci participe à une démarche de décentralisation de l’activité économique, permet la garantie de taux de remplissage importants tout en entraînant de forts reports de modes de transports polluants vers l’usage du train.

b) Néanmoins, la mauvaise desserte de certaines destinations par le transport ferroviaire se traduit par une sur-utilisation du transport aérien nettement plus polluant

S’il est important d’établir un équilibre entre entretien du réseau existant et construction de nouvelles lignes, les lacunes du réseau actuel rendent ce deuxième volet urgent. En effet, la desserte du pays par liaisons à grande vitesse est assez limitée, principalement en raison du coût de construction des lignes. Pourtant, l’efficacité de ces projets pour réduire la fréquentation des lignes aériennes a été démontrée par l’expérience du Paris-Bordeaux.

Carte du réseau ferré français en 2017

Source: SNCF Réseau

Les manquements du réseau ferré français se traduisent par un trafic aérien conséquent sur certaines lignes. Si certains trajets sont très bien desservis à partir de Paris, Toulouse et Nice sont respectivement à 4h30 et 6h de Paris. Ces lacunes ont un coût environnemental. La liaison aérienne Paris-Toulouse représente les deux tiers du trafic national de l’aéroport de Toulouse, et près d’un tiers de son trafic total, soit plus de 3M de passagers par an18. La liaison Paris-Nice comptabilise également 3 millions de passagers annuels. En comparaison, les lignes bien desservies par le réseau à grande vitesse de la SNCF représentent une moindre part du trafic : 1,5 millions pour Marseille, 1,2 millions pour Bordeaux, 700 000 pour Lyon.

Le projet de ligne à grande-vitesse Bordeaux-Toulouse

Envisagé depuis les années 1980, le projet de LGV Bordeaux-Toulouse est initié au début des années 2000. Il entre en débat public en 2005 et fait l’objet de nombreuses études et concertations. Le projet est déclaré d’utilité publique par décret en 2016, mais le décret en question est annulé un an plus tard par une décision du tribunal administration de Bordeaux. L’avenir de ce projet est alors incertain, à l’heure où les décideurs publics opposent les “transports du quotidien” au développement LGV et font valoir des arguments de restriction budgétaire. En 2018, le projet est repassé prioritaire19 suite à la publication d’un rapport à ce sujet par le Comité d’orientation des infrastructures. Toutefois, de multiples scénarios étaient à l’étude, l’option privilégiée consistant en un étalement des travaux sur 20 ans pour lisser les coûts associés au projet.

Après des années de report et de stagnation, il devient impératif que ce projet cesse de s’éterniser. Il est impératif que l’État s’engage sur des échéances claires et rapides ; et il doit tout mettre en œuvre pour que celles-ci soient tenues. Plus que jamais d’actualité, ce projet LGV et le GPSO dans lequel il s’inscrit sont de retour dans le champ médiatique et politique. Poussée à nouveau par le rapport “Toulouse, territoire d’avenir” préparé durant la crise sanitaire à l’initiative de la métropole de Toulouse, la création de la LGV est une mesure prioritaire pour relancer l’économie locale.

La ligne nouvelle Provence Côte d’Azur

Initialement envisagé dans les années 1990, un premier projet de LGV PACA, connu sous l’appellation “branche côte d’azur”, fut rapidement abandonné. Relancé au début des années 2000 sous l’appellation LGV PACA, il fit l’objet d’un débat public en 2005 et de plusieurs études complémentaires entre 2005 et 2008, qui n’avaient pas permis d’aboutir à un consensus sur le projet. Plusieurs tracés sont envisagés, certains reliant directement Marseille et Nice en suivant l’autoroute A8, d’autres passant par Toulon et Cannes pour relier les métropoles les plus importantes de la région.

En 2009, un tracé passant par Toulon fut décidé, mais devait s’inscrire dans un projet ferroviaire plus large favorisant les transports du quotidien (donc les TER davantage que les TGV). C’est sur cette base que le projet s’est développé à partir de 2012, au fil de nombreuses consultations. Après une pause des grands projets décrétée par Macron en 2017, un nouveau rapport paru en 2018, issu du Comité d’orientation des infrastructures, recommande le séquençage du projet en 4 phases, dont les deux premières sont prioritaires et visent essentiellement à développer le transport régional. Après un retardement de près de 20 ans, il est grand temps de fixer des délais ambitieux et de ré-affirmer la nécessité d’inclure la composante LGV dès les premières phases du projet.

Ce trafic aérien représente un coût environnemental conséquent. En prenant en compte des émissions de gaz à effet de serre équivalentes à 254 grammes de carbone par passager et par kilomètre de vol pour le transport aérien intérieur, un vol Paris-Toulouse, Paris-Nice et Paris-Nantes émettent respectivement 150, 175 et 87 kilogrammes d’équivalent-carbone par passager. Pour les trois millions de passagers qui effectuent le vol Paris-Toulouse chaque année, cela représente au total 490 000 tonnes de CO2. Il est donc urgent d’améliorer la qualité du réseau afin de permettre aux français souhaitant voyager sur ces lignes de le faire en train.

3) Le développement des lignes à grande vitesse Paris-Toulouse et Paris-Nice est une urgence écologique et sociale

a) Un impact important sur les émissions de gaz à effet de serre

Les lignes Paris-Toulouse et Paris-Nice sont les deux lacunes les plus évidentes du réseau de transport ferré français. Les lignes ferroviaires Paris-Toulouse et Paris-Nice sont en effet très insuffisantes. Toulouse et Nice sont aujourd’hui les deux grandes métropoles à plus de 4 heures de train de Paris. Un Paris-Toulouse prend plus de 4 heures, et un Paris-Nice prend près de 6 heures. Pour relier ces deux villes au reste de la France et du monde, l’avion reste un moyen de transport incontournable. Les liaisons aériennes entre Paris et ces 2 villes sont les lignes intérieures les plus empruntées, avec 3,2 et 3,1 millions de passagers en 2017. En comparaison, Paris-Marseille et Paris-Bordeaux totalisent environ 1,5 millions de passagers, essentiellement grâce à la qualité des liaisons ferroviaires comme nous l’avons vu précédemment.

L’absence de ligne ferroviaire de qualité sur ces deux trajets a un coût écologique très important. Les 3 millions de passagers annuels qui prennent l’avion pour un Paris-Toulouse sont responsables de l’émission de 490 000 tonnes d’équivalent carbone par an, ceux qui prennent un Paris-Nice de 540 000 tonnes d’équivalent carbone annuel. Les travaux de l’économiste américain Nordhaus permettent d’établir un coût social des émissions de gaz à effet de serre d’environ 200 € par tonne de CO2. En d’autres termes, l’émission par l’action humaine d’une tonne de carbone contribue au réchauffement climatique. La contribution de ces émissions à la hausse de la température sur terre aura demain un impact sur l’économie mondiale. Nordhaus estime que cet impact sur l’économie mondiale se traduit par une baisse durable du PIB et du niveau de vie futur, pour nos enfants. Le coût de cette baisse du niveau de vie, s’il devait être évalué aujourd’hui, est de l’ordre de 200 €. Sur cette base, les lignes Paris-Toulouse et Paris-Nice coûtent à la planète près de 200 millions d’euros par an.

Distance Nombre de passagers, 2017 Émissions de GES annuelles associées (en équivalent-carbone20)
Paris-Toulouse 590 km 3,25 M 490 000 tonnes
Paris-Nice 686 km 3,08 M 540 000 tonnes

Gain environnemental associé au report modal

La baisse de la fréquentation des lignes aériennes associée à la construction de lignes à grande vitesse sur ces deux trajets aurait un impact positif très important sur l’environnement. Le développement d’une offre ferroviaire reliant ces villes à Paris en 3h au lieu de 4 et 6 pourrait réduire de moitié le trafic sur ces lignes aériennes21. Le report modal de l’aérien sur le ferroviaire conduirait donc sur chacune de ces deux lignes à un gain annuel pour la planète chiffré à près de 100 millions d’euros, en plus des bénéfices sociaux et économiques associés.

Réduction des émissions de GES annuelles, report modal aérien-ferroviaire (en équivalent-carbone22) Gain économique associé, sur la base de 200 € / tonne d’équivalent carbone
Paris-Toulouse 205 000 tonnes 41 M€
Paris-Nice 225 000 tonnes 45 M€

Gain environnemental associé au report modal

Notons que la construction de ces lignes aurait également un coût environnemental. Nous avons vu que la branche Est du LGV Rhin-Rhône, pour 140 kilomètres de ligne construits, avait conduit à l’émission d’un peu moins d’un million de tonnes de CO2 notamment pour fabriquer la chaux utilisée pour traiter le sol23. La construction d’une ligne à grande vitesse entre Paris et Toulouse correspond en pratique à rallonger de 250 kilomètres la ligne Paris-Bordeaux, et celle de Paris-Nice correspond au passage à la grande vitesse du tronçon Marseille-Nice d’une longueur d’environ 200 kilomètres. La construction de ces tronçons se traduit non seulement par des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi par l’artificialisation de sols qu’il faudra compenser pour que ce projet soit compatible avec l’objectif de zéro artificialisation nette. La valeur socio-économique annuelle créée par une prairie est évaluée à 1 000 € par hectare24. En termes de valeur socio-économique, l’artificialisation coûterait environ 2 M€ par an par ligne, alors que le report modal crée une valeur socio-économique 50 fois plus élevée.

Longueur du tronçon Emissions, construction de la ligne Surface de sols artificialisés
Paris-Toulouse 250 km 1,7 millions de tonnes 2 500 hectares
Paris-Nice 200 km 1,4 millions de tonnes 2 000 hectares

Coût environnemental associé à la construction de la ligne

b) Des investissements à réaliser limités en comparaison de leur impact environnemental et qui participent de la relance keynésienne dont notre pays a besoin

Le coût de ces projets est acceptable en comparaison de ses bénéfices environnementaux. Nous avons vu que le coût associé à la construction d’une ligne à grande vitesse était de l’ordre de 25 millions d’euros par kilomètre. Sur 30 ans, nous obtenons donc le bilan coût-bénéfice suivant. La construction de ces lignes correspond ainsi à un coût d’abattement de l’ordre de 1 000 euros. Ce coût d’abattement est très modéré, d’autant plus que ces politiques permettront à moyen-terme d’interdire ou de contraindre fortement le trafic aérien sur ces trajets, ce qui conduirait à doubler les bénéfices environnementaux associés au report modal.

Coût de la construction Bénéfice environnemental, report modal Coût environnemental, construction Coût environnemental, surface de sols artificialisés25
Paris-Toulouse 7 000 M€26 6,1 Mt d’éq-CO2 1,7 Mt d’éq-CO2 2 500 hectares
Paris-Nice 8 000 M€27 6,7 Mt d’éq-CO2 1,4 Mt d’éq-CO2 2 000 hectares

Bilan coût-bénéfice associé à la construction de la ligne

Notons par ailleurs que les bénéfices générés par la construction de ces LGV ne seraient pas exclusivement environnementaux. Elle permettrait de créer des dizaines de milliers de nouveaux emplois, à un moment où la crise économique impose un plan de relance massif par la commande publique. Les 15 milliards d’euros à investir dans la construction de ces deux lignes pourraient rentrer dans le cadre d’un Green New Deal qui accélérerait la reprise économique et permettrait de créer des centaines de milliers de nouveaux emplois dans des secteurs compatibles avec l’urgence climatique.

L’impact de ces projets sur l’emploi local serait très important. Les études qui ont porté sur la ligne Sud Europe Atlantique28 ont en effet pointé le fort impact en termes d’emploi local qu’a eu la construction de la ligne. Entre 2011 et 2013, le chantier a impliqué 350 entreprises locales, notamment des TPE et PME. Pour un emploi direct créé sur le chantier, les études29 montrent que le projet a conduit à la création d’un emploi indirect, notamment chez les sous-traitants des entreprises impliquées sur le chantier, et de 0,44 emplois induits par l’injection d’argent public dans le tissu économique local des départements que traverse la ligne à grande vitesse. Chaque million d’euros investi dans le projet a permis de créer environ 17 emplois-an30. Pour les deux lignes que nous proposons, l’investissement réalisé se traduirait par la création de près de 300 000 emplois-an.

Ces projets ont par ailleurs un effet multiplicateur. Chaque euro d’argent public injecté dans la construction de la ligne permet une hausse du revenu des employés des entreprises impliquées sur le chantier et de leurs sous-traitants. Grâce à cette augmentation de leur revenu, ces travailleurs pourront augmenter leur niveau de consommation. Ils financent donc les commerçants locaux, dont le revenu augmentera également. Cet effet multiplicateur des dépenses publiques signifie que chaque euro investi dans la construction de ces lignes génère plusieurs euros supplémentaires de revenu pour les entreprises locales. Les principes de l’économie keynésienne recommandent de financer, en temps de crise, des dépenses publiques dont l’effet multiplicateur est important afin d’accélérer la reprise de l’activité.

La construction de lignes à grande vitesse fait partie des dépenses dont l’effet multiplicateur est le plus efficace. En effet, les études économiques qui ont porté sur l’impact de tels projets conduisent à estimer qu’un euro injecté dans la construction de la ligne permet d’augmenter le PIB d’environ 2 euros au total. Dans un papier datant de 2012, Cohen et al. estiment que l’effet multiplicateur des dépenses publiques visant à construire de nouvelles infrastructures de transport aux États-Unis varie, selon les années, entre 1,9 et 2,1. Un euro investi pour la construction d’une route génère 1 € de PIB pour construire la route, mais aussi 0,9 € de production induite du secteur privé pour l’économie américaine. L’OCDE estime que l’effet multiplicateur des dépenses de construction d’infrastructures est encore plus élevé, notamment pour la construction d’autoroutes aux États-Unis, de l’ordre de 4,731. L’évaluation de l’impact du projet de construction de la ligne Sud Europe Atlantique conduit également à un multiplicateur de production proche de 2, évalué par Etienne Fouqueray à 1,96. Les 15 milliards d’euros investis dans le cadre de la construction de ces lignes généreraient donc environ 20 milliards d’euros de production supplémentaire pour notre pays sur 2 ans. Cela correspond à plus d’un demi-point de PIB.

Le Congressional Budget Office américain a publié un rapport32 sur le plan de relance de 2009 dans lequel il recense différentes évaluations concernant les mesures mises en place à l’époque pour relancer l’économie. Notons que les deux lignes correspondant aux dépenses d’infrastructure (« Achats par le gouvernement fédéral de biens et services » et “Transferts aux Etats pour financer des dépenses d’infrastructures”) sont celles dont l’effet multiplicateur s’est avéré le plus important. En comparaison, les baisses d’impôts pour les entreprises et les ménages les plus aisés sont très inefficaces pour relancer l’économie.

Estimations du multiplicateur pour différentes mesures de relance

Source : EVALUATING FEDERAL-AID HIGHWAY CONSTRUCTION PROGRAM EMPLOYMENT IMPACTS AND PRODUCTIVITY GAINS, OECD, 2001

Il est donc critique d’intégrer au plan de relance de l’économie nationale un grand programme de construction d’infrastructures de transport bas-carbone. Ces projets sont urgents, non seulement du point de vue écologique et social, mais aussi du point de vue économique puisqu’il s’agit des dépenses connues pour être les plus efficaces pour sortir d’une crise. Dépenser 10 milliards d’euros sur 2 ans pour accélérer la construction de ces deux lignes permettrait de gagner un demi-point de croissance annuel, et de garantir l’emploi de plus de 100 000 français sur deux ans, sur des emplois très locaux, non-délocalisables et pleinement compatibles avec nos exigences environnementales. En même temps, ce plan permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de notre pays à hauteur de près de 10 millions de tonnes d’équivalent-carbone sur 30 ans, et de faire un pas de plus dans le sens du respect des engagements pris par la France lors des Accords de Paris.

Ce plan doit bien entendu être coordonné avec la mise-en-place d’offres de formation adaptées pour permettre aux demandeurs d’emploi et aux salariés des industries affectées par la crise d’accéder à ces métiers. Il devra être conçu afin d’impliquer autant que possible les TPE et PME locales, et de favoriser la création d’emplois pérennes dans les départements les plus en difficulté du sud-est et du sud-ouest de la France.

Enfin, si la construction de ces lignes à grande vitesse est urgente du point de vue de la transition écologique, l’entretien des lignes existantes est tout aussi important. La vitesse des trains est fortement dépendante de la qualité de la ligne empruntée, ce qui a donc un impact direct sur le trafic aérien et routier. Des rénovations régulières doivent être financées pour que le réseau ferré français reste en excellent état, et constitue une alternative attractive à la voiture et à l’avion sur le long-terme.

*****

1 Fiche thématique : “Les émissions de gaz à effet de serre des transports” – Ministère de la transition écologique

2 Ibid.

3 Impact climatique du transport aérien – Wikipédia

4 Selon le calculateur en ligne de la direction générale de l’aviation civile (DGAC), pour un vol de Paris-CDG à New York – Kennedy. Les émissions sont même doublées au départ de Paris-Orly (caractéristiques des vols et des avions).

5Les émissions gazeuses liées au trafic aérien en France en 2018 – Ministère de la transition écologique et solidaire.
La méthodologie de comptage est originaire du bulletin statistique trafic aérien commercial 2018, DGAC. Elle prend en compte les vols à origine et/ou à destination de la France.

6 Rapport du GIEC, 2007

7 Agence européenne pour l’environnement – Émissions de dioxyde de carbone dues au transport de passagers

8 Direction générale des entreprises – Aéronautique et spatial, Semaine de l’industrie

9 Crise(s), climat : Préparer l’avenir de l’aviation, Perspective 1, p.6

10 Selon une étude de l’IEA (1997), le taux d’occupation moyen est toujours inférieur à 2, et égal à 2 pour les déplacements liés à des activités de loisir. Les dernières études de l’Ademe montrent un taux d’occupation moyen des véhicules plus faible, de l’ordre de 1.2 passager par véhicule, ce qui conduit à une économie de CO2 supérieure.

11 Cost-benefit analysis of the high-speed train in Spain, Ginés de Rus & Vicente Inglada, The Annals of Regional Science 31, 175-188, 1997

12 Intermodal competition in the London–Paris passenger market: High-Speed Rail and air transport, Christiaan Behrens, Eric Pels, Journal of Urban Economics 71 (2012) 278-288, 2012

13 Does European high-speed rail affect the current level of air services ? An EU-wide analysis, Frédéric Dobruszkes, Catherine Dehon, Moshe Givoni, Transportation Research, Volume 69, 2016

14 Le TGV Tours-Bordeaux, première ligne ferroviaire sous concession privée – Le Monde

15 Retour sur les cinq ans du chantier de la LGV Bretagne-Pays de la Loire – France Bleu

16 « 1er ferroviaire global Bilan Carbone® », RFF, Ademe et SNCF, 2009 et Livret Carbone (RFF, 2009).

17 Les impacts d’une ligne ferroviaire à grande vitesse (LGV) – 2004 – Préparation du débat public

18Aéroport de toulouse – Statistiques de trafic 2019

19 https://www.ladepeche.fr/article/2018/02/02/2734288-la-lgv-bordeaux-toulouse-est-sauvee.html

20 Sur la base de 254 grammes / passagers-kilomètres contre la valeur pessimiste de 41 grammes / passagers-kilomètres pour le TGV (source: BBC, Climate Change : sould you fly, drive or take the train?)

21Alain Granjean – Investir dans le rail : une ardente obligation pour la transition énergétique

22 Sur la base de 254 grammes / passagers-kilomètres contre la valeur pessimiste de 41 grammes / passagers-kilomètres pour le TGV, (source: BBC, Climate Change : sould you fly, drive or take the train?)

23 Le total construction et exploitation pendant 30 ans était chiffré à 2 millions de tonnes, mais la construction de la ligne ne représentait que 43% de ces émissions. Ici, considérons uniquement la construction de la ligne, son exploitation étant déjà prise en compte dans le calcul du gain environnemental associé au report modal.

24Les enjeux de l’artificialisation des sols : diagnostic – Comité pour l’économie verte

25 Notons que l’évaluation réalisée ne prend pas en compte l’impact de la construction de ces lignes sur les écosystèmes et la biodiversité. Le tracé devra être pensé pour limiter au maximum l’impact de la construction de ces lignes en matière de biodiversité.

26 https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/lgv-bordeaux-toulouse-debut-des-travaux-en-2022-1579593374?fbclid=IwAR33gg-ZN-VbkPfdw9E452BOhQoQP9nlsagVeZMta8XOx_hUTPn9W9xClvU

27 Nous prenons ici comme référence l’estimation du coût des tracés « directs » entre Nice et Marseille réalisée par RFF en 2008 : https://www.lignenouvelle-provencecotedazur.fr/sites/lnpca.fr/files/telechargements/medias/documents/lgvpaca-syntheseetudescomplementaires-juin2008.pdf. Il convient de noter qu’un tracé passant par Toulon assurerait une meilleure desserte de la Côte d’Azur et aurait un coût plus élevé, de 11 milliards d’euros à 25 selon certaines estimations, en fonction de la construction de lignes TER dans le cadre du projet et de divers paramètres liés au tracé (notamment le coût des tunnels à construire et le tracé de lignes en milieu urbain dense.

28 Bilan LOTI 2018

29 Impact économique de le construction de la LGV SEA Tours-Bordeaux sur les régions traversées, Etienne Fouqueray

30 Un emploi est comptabilisé sur une base annuelle. La création de 2 emplois peut ainsi correspondre alternativement à 2 personnes employées sur 2020, ou 1 personne employée sur 2020 et sur 2021.

31 EVALUATING FEDERAL-AID HIGHWAY CONSTRUCTION PROGRAM EMPLOYMENT IMPACTS AND PRODUCTIVITY GAINS, OECD, 2001

32 Estimated impact of the American Recovery and Reinvestment Act on Employment and Economic Output from January 2011 Through March 2011 – CBO

1 réponse sur “Le rail face à l’urgence climatique

  1. Bonjour
    Nous aimerions contribuer et vous envoyer un article sur l’aéronautique à Toulouse « Un pas de côté »
    Permettez-nous de vous envoyer ce texte à lire ,à diffuser ,à publier à commentez …..n’hésitez pas à le faire circuler etc… texte signé par Copernic Toulouse, Attac Toulouse, les AMD Toulouse et l’Université Populaire de Toulouse – UPT
    merci de la capitale de l’aéronautique..Toulouse .de ceux celles qui portent un regard critique mais qui nont pas bonne presse…..
    le doc en pdf peut vous être envoyé à votre demande

    Stella Montebello pour Copernic et UPT chargée de la diffusion

    Préambule
    L’urgence climatique ne fait que s’amplifier. Les travaux de (et autour de) la COP 26 avancent que, dans le cadre de la trajectoire actuelle d’émissions de gaz à effet de serre, l’augmentation de température serait de 2,4°C d’ici 2050 (les accords de Paris, c’est 1,5°C…). Face aux conséquences (largement documentées par les scientifiques) de cette trajectoire sur l’écosystème humain, des évolutions, quelques fois significatives, de nos modes de vie et de consommation sont inévitables. Aujourd’hui, certains accélèrent (de toutes façons, la technique sauvera le Monde et puis… les profits, eux, n’attendent pas), d’autres se replient volontairement (en bon ordre quelques fois) ou de manière subie et contrainte (précarité, pauvreté, ghettoïsation, exclusions). D’autres encore parlent (plus ou moins bien) d’effondrement et semblent craindre un grand saut dans le vide. Nous préférons, nous, parler de basculements1. Il nous suffirait de faire un « simple » pas de côté dans la bonne direction pour regarder et penser le monde différemment, pour basculer vers des « possibles désirables ». C’est ce petit pas qui est dur à faire car la force d’attraction de l’ancien monde est encore puissante. A Toulouse, la dépendance extrême du tissu économique et social au secteur de l’aéronautique pose le problème de manière aigue. Si on écoute et analyse le discours ambiant (des industriels, des politiques et de la majorité des médias locaux), tout va repartir comme avant. Certes, la crise a été rude mais les avions vont de nouveau sortir par milliers des chaînes d’Airbus et se vendre « comme des petits pains ». On nous promet que demain, tout ira bien. Les avions verts sillonneront le ciel (sans trainée de condensation, bien sûr) en transportant 8, puis 10, puis 15 milliards de passagers… La présente note a pour objet de participer au débat sur les conséquences du réchauffement climatique sur le secteur de l’aviation. Elle s’inscrit dans la continuité et complète le texte que nous avions publié en avril 20202 : « Vers une crise économique majeure dans Toulouse et sa région – Toulouse, le syndrome Détroit ? ». Est-il encore possible de parler de croissance du transport aérien quand on analyse les travaux menés par des élèves, anciens élèves et par des enseignants-chercheurs de l’ISAE – SupAéro sur l’aviation et le climat ? Rien n’est moins sûr. L’ampleur et les conséquences du réchauffement climatique sur le secteur de l’aviation doivent conduire à une remise à plat du modèle de développement actuel de la métropole toulousaine. Il est donc urgent que d’autres scénarios que ceux issus de la seule industrie aéronautique soient entendus, discutés. Et de manière publique.

    Pascal Gassiot – Fondation Copernic – Antenne de Toulouse
    Gilles Daré – UPT – Université populaire de Toulouse
    Pierre Bonneau – Attac Toulouse
    Jean-Pierre Crémoux – Amis du Monde Diplomatique – Toulouse

    Vous pouvez aussi télécharger ce texte en activant le lien ci-dessous.
    https://universitepopulairetoulouse.fr/IMG/pdf/faire_un_pas_de_co_te_.pdf

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