Accroître la pression sur les bénéficiaires d’aides sociales : voilà la nouvelle proposition d’Edouard Philippe – reprise depuis par la ministre du Travail – pour répondre à la crise des Gilets jaunes. Comme il est loin le temps du candidat Macron qui promettait une « France qui doit être une chance pour tous » ! Il ne s’agit plus de rêver d’un pays plus juste, mais de désigner des « fainéants » et de dénoncer le « pognon de dingue » dépensé en aides sociales. 

Qu’importe si le mouvement des rond-points est l’expression d’un sentiment d’abandon que les propos du couple exécutif renforcent depuis le début du quinquennat ;  qu’importe s’il n’a jamais été prouvé empiriquement que le conditionnement des aides sociales était une mesure favorable aux personnes bénéficiaires ou aux finances publiques; qu’importe si l’on n’a jamais demandé de véritables contreparties aux bénéficiaires de la suppression de l’ISF ou de l’établissement du CICE et du Pacte de responsabilité : l’essentiel est de montrer que l’on veut réformer, à droite toute, de préférence. Rendons à César ce qui appartient à César: si Edouard Philippe a effectivement trahi son parti en 2017, il n’a pas pour autant trahi ses idées. 

En relançant un débat sur l’instauration de contreparties au versement des prestations sociales sous prétexte de difficultés pour embaucher malgré un taux de chômage élevé, le Premier ministre accrédite un préjugé selon lequel le chômage serait volontaire. Au fondement de cette idée reçue se trouve un postulat rarement explicité et économiquement invérifié : l’individu en situation de précarité serait le seul responsable – « fautif » sur un plan moral – de sa situation. Il faudrait alors l’inciter à faire davantage d’efforts. Le Président de la République partage vraisemblablement cette approche, lui qui jugeait que les Français n’avaient pas « le sens de l’effort ». 

C’est un vieux serpent de mer qui refait surface: la « responsabilisation » des chômeurs ou des bénéficiaires de prestations sociales. Cela rappelle en effet les déclarations de Laurent Wauquiez en 2011 à propos des « dérives de l’assistanat » comme « cancer de la société ». Les mots du chef de Gouvernement sont, certes, davantage policés, mais ils reflètent toutefois la même stratégie: emprunter des raccourcis pour traiter un enjeu hautement complexe. Surtout, ils opèrent la même violence, celle de dirigeants politiques qui, derrière un discours prétendant à la vérité et au courage, accablent les plus démunis d’entre nous et placent les chômeurs les uns contre les autres.

L’argument du Premier ministre traduit son incapacité à penser des mécanismes d’aide sociale tenant compte du parcours de vie des citoyens : un parcours allant de la formation à l’emploi, de l’emploi à la formation et ponctué de périodes d’instabilité toujours plus importantes. Convaincu de l’infaillibilité du marché, le Premier ministre ne voit dans la persistance du chômage aucune responsabilité collective, mais uniquement des responsabilités individuelles. A rebours d’une telle conception, il est possible de penser la carrière professionnelle de chacun comme un parcours nécessitant avant tout d’être sécurisé: c’est le souhait que nous faisons, celui d’une sécurité sociale professionnelle. 

Pour montrer la trivialité des propos d’Edouard Philippe, certaines évidences méritent ainsi d’être rappelées. Les allocataires de l’assurance chômage doivent déjà justifier de démarches de recherche d’emploi, les contrôles et les sanctions étant constamment plus poussés. De même, des obligations d’insertion reposent sur les bénéficiaires du RSA. Cependant, la moitié des allocataires du RSA n’ont toujours pas signé de contrat d’insertion avec leur référent au bout de 6 mois et ne bénéficient donc d’aucun accompagnement. C’est là une faute collective dans le soutien aux personnes éloignées de l’emploi qui n’est pas sans conséquence : près de la moitié des allocataires du RSA le sont depuis au moins 4 ans. Faire peser la responsabilité de cette situation sur les épaules des premières victimes, les personnes en situation d’exclusion, c’est refuser de voir que nous avons ici une responsabilité collective et, par là, s’empêcher d’y répondre par des politiques publiques adaptées. C’est une négation du contrat social qui nous lie au profit d’une lecture individualiste de la société, jusque dans ce qu’elle entraîne d’inégalités inacceptables.

En effet, les transformations de la structure productive et la forte sélectivité du marché du travail tiennent nombre de personnes éloignées de l’emploi. La coexistence du chômage et d’offres d’emploi non pourvues montrent un dysfonctionnement de ce que l’on appelle le processus d’appariement (le « matching » entre les demandes et offres de travail). Ceci accrédite la théorie de l’économiste Boyan Jovanovic pour qui l’appariement n’est pas le simple résultat d’une rencontre d’informations (offre et demande) mais un produit de l’expérience. L’enjeu de l’accompagnement est de permettre cette expérience qui débouchera sur l’emploi durable. C’est dans cette perspective qu’ont été créées les périodes de mises en situation en milieu professionnel (PMSMP) par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Ces périodes, d’un mois maximum, permettent au demandeur d’emploi de se confronter à des situations réelles dans le but de découvrir un métier ou un secteur d’activité, de confirmer un projet professionnel ou d’initier une démarche de recrutement. Il s’agit ici de mettre en place un accompagnement itératif, multipliant les mises en situation et exploitant les retours d’expérience. 

La construction de ce qui pourrait devenir une sécurité sociale professionnelle s’oppose à la logique du workfare, si bien filmée par Ken Loach dans sa palme d’or I Daniel Blake, qui implique que les bénéficiaires travaillent en échange de leur allocation, tout comme à l’approche making work pay dont l’idée est de rendre l’emploi plus attrayant que le chômage par des incitations financières. Un accompagnement vers l’emploi efficace suppose, au contraire, une politique publique volontariste. Ainsi, l’accompagnement intensif de la Garantie jeunes (qui utilise notamment les PMSMP) à un coût évalué par le SGMAP à 1798€ par jeune et par an. Cet investissement, qu’il faut cesser de concevoir comme une charge, vise à permettre aux jeunes éloignés de l’emploi d’accéder à l’autonomie. L’évaluation menée par la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) démontre l’efficacité de cet accompagnement sur le taux d’emploi qui grimpe de 7 points chez les bénéficiaires.

A rebours des anathèmes proférés à intervalle régulier contre les chômeurs et les « assistés », il existe des solutions intelligentes pour promouvoir le retour à l’emploi, à l’image du dispositif PMSMP ou bien du dispositif Zéro chômeur de longue durée mis en œuvre par ATD Quart Monde. Reste à savoir quel est le véritable objectif : permettre à chacun de construire son parcours et d’accéder à l’autonomie ou cantonner les plus fragiles à des emplois sous-payés en lieu et place des prestations sociales auxquelles ils ont droit ? La solution doit dès lors aller dans le sens de donner à chacun les moyens pour trouver sa place et de tendre la main plutôt que pointer du doigt.  

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