Femme queer et lesbienne, Rebecca Parson incarne cette nouvelle gauche radicale qui aspire aux responsabilités. À l’instar d’Alexandria Ocasio-Cortez et de Rashida Tlaib, la jeune candidate est membre des Democratic Socialists of America, la plus grande organisation socialiste des États-Unis, qui compte aujourd’hui plus de 70 000 membres. Fille de militaires, l’outsider du 6e district congressionnel de l’État de Washington pour la Chambre des Représentants fut successivement observatrice pour les droits humains, commissaire à la commission des handicaps de la région de Tacoma et professeure suppléante. Ce riche parcours, fait d’expériences atypiques comme de démons intérieurs, Rebecca Parson a accepté de le partager avec nous.

 

Le 4 août prochain, elle affrontera Derek Kilmer, l’actuel élu démocrate du 6e district. Élu depuis 15 ans, le Représentant est actuellement sous le feu des critiques pour avoir signé une lettre appelant à tailler dans le budget de la Sécurité Sociale (la Social Security américaine concerne les retraites, le handicap et les vétérans, ndlr). Après les récentes victoires des socialistes sur la côte est (Alexandria Ocasio-Cortez, Jamaal Bowman, Mondaire Jones…), les DSA pourraient bien créer de nouvelles surprises sur la côte ouest.


 

Hémisphère Gauche — Bonjour Rebecca, vous vous décrivez comme une « socialiste démocrate queer ». Pourriez-vous nous dire pourquoi vous avez rejoint les Democratic Socialists of America ? Est-ce votre premier engagement politique ?

 

Rebecca Parson — J’ai rejoint les Democratic Socialists of America après la victoire d’Alexandria Ocasio-Cortez (en 2018, ndlr), que j’ai trouvé inspirante. J’ai lu ce que publiaient les DSA sur leur site et j’ai trouvé que leurs valeurs rejoignaient les miennes. Localement, j’ai également pu voir tout ce que font les DSA de la ville de Tacoma pour la communauté, en particulier la façon dont ils s’organisent pour défendre les droits des locataires. J’apprécie que l’organisation se focalise tant sur les changements systémiques que sur les besoins matériels qui sont ceux du quotidien. Par exemple, au moment où des locataires précaires furent expulsés, les membres de Tacoma DSA étaient là pour les aider.

Je vote depuis que j’ai 18 ans, mais rejoindre les DSA fut mon premier véritable engagement politique.

 

 

HG — Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la politique ? Est-ce que certain·e·s auteur·ices ont eu une influence sur votre conscience politique ? Pensez-vous que votre vécu a contribué à forger votre identité politique ?

 

RP — J’ai commencé à m’intéresser à la politique à l’université. J’avais des ami·e·s qui me parlaient des zapatistes et de leur volonté de créer un gouvernement et une société qui leur soient propres. Ayant été observatrice des droits humains, j’ai pu voir ce qu’était un village zapatiste menacé par des forces paramilitaires. À peu près au même moment, j’ai lu « La stratégie du choc » de Naomi Klein. Ces deux expériences furent déterminantes quant à mon identité politique.

 

En ce qui concerne ma famille, mon grand-père fut colonel dans l’armée américaine et mon père était agent du service extérieur, j’ai donc grandi avec cet idéal d’un jour servir mon pays.

 

HG — Il y a quelques années, vous avez souffert d’alcoolisme. Est-ce que cet épisode de votre vie vous a sensibilisé aux problématiques liées à la santé aux États-Unis ? Quelle est votre opinion sur la prévention de la dépendance aux drogues ? Vous parlez d’ « épidémie de désespoir » : considérez-vous que la drogue puisse être une échappatoire aux personnes confrontées à la violence du quotidien ? En tant qu’élue au Congrès, comment pourriez-vous améliorer la prise en charge des personnes dépendantes ?

 

RP — Je suis sobre depuis trois ans, et tant cette sobriété que mes échanges avec d’autres personnes souffrant d’alcoolisme et luttant comme je le fais m’ont sensibilisé aux problèmes liés à la santé en Amérique. J’ai perçu, dans cette épidémie d’addictions, un symptôme du capitalisme, qui plonge dans le désespoir une large partie de la classe ouvrière qui lutte pour s’en sortir dans un système économique truqué car au bénéfice des riches et des grandes entreprises. Pour certaines personnes, la consommation de drogue est une manière d’échapper à cette réalité : une réalité où tu ne trouves pas d’emploi, où tu ne peux pas t’offrir un logement, élever dignement tes enfants et où ta vie se résume à une lutte à mener. Notre système capitaliste crée un sentiment d’aliénation et de solitude : tu es seul·e au monde et personne ne peut t’aider. La dépendance est une maladie d’isolement, et l’isolement provoqué par le capitalisme et celle provoquée par la dépendance vont de pair.

 

En outre, les personnes handicapées sont particulièrement maltraitées aux États-Unis. On ne leur donne que le strict minimum pour survivre, vivent dans un habitat indigne, et si elles essaient d’améliorer leurs conditions de vie en percevant un revenu, leurs aides (par exemple : leur logement) sont suspendues. Il est impératif d’augmenter les allocations mensuelles que reçoivent les personnes handicapées et de rendre illégal le fait de les rémunérer sous le salaire minimum.

 

HG — En ce qui concerne l’éducation, vous voudriez un salaire de début de carrière de 60 000$ pour les professeur·e·s du public. En tant que professeure suppléante, pourriez-vous nous décrire rapidement les conditions de travail et le niveau de salaire des professeur·e·s aux États-Unis ?

En France aussi, de nombreu·x·ses professeur·e·s perçoivent un faible revenu et font face à des conditions de travail particulièrement éprouvantes. Quelle est votre opinion sur ces deux pays riches qui laissent leur système scolaire public péricliter ?

 

RP — J’ai été professeure suppléante durant deux ans et cette expérience m’a permis de constater à quel point notre pays maltraite ses professeur·e·s. De nombreu·x·ses professeur·e·s doivent avoir un second emploi pour pouvoir vivre, ce qui ressemble à une mauvaise farce étant donné qu’il s’agit d’un des plus importants métiers dans ce pays : éduquer notre jeunesse ! C’est une disgrâce, lorsque l’on est aux responsabilités dans un pays riche, de sous-financer nos écoles publiques et de mettre de l’argent public dans des charter schools. (Les charters schools sont comparables aux écoles privées sous contrat, nldr)

 

 

HG — Vous avez été officiellement soutenue par Our Revolution Washington et Brand New Congress pour le 6e district de Washington. Le 4 août 2020, vous ferez face au démocrate Derek Kilmer. Qu’est-ce que vous ressentez à l’heure actuelle ?

 

RP — Mon sentiment sur la campagne à l’instant présent, c’est que nous allons l’emporter ! Nous recevons des dons venus des cinquante États et de Puerto Rico, avec une majorité de dons venant d’ici, l’État de Washington. Le don moyen s’élève à 23,52 dollars et à cela s’ajoute des volontaires extraordinaires et passionné·e·s qui nous aident à frapper à toutes les portes qu’il faudra pour que nous puissions gagner. Je suis vraiment enthousiaste !

 

HG — Joe Biden sera très probablement le candidat investi par le Parti démocrate pour l’élection présidentielle ? Vous qui avez fermement soutenu Bernie Sanders, soutiendrez-vous Joe Biden ?

 

RP — C’est une bonne question ! Je vais faire tout mon possible pour vaincre Donald Trump et continuer à faire avancer une politique et des valeurs résolument progressistes.

 

HG — Merci Rebecca.

 

RP — Merci à vous !

14 réponses sur “« Notre système capitaliste crée un sentiment d’aliénation et de solitude » : entretien avec Rebecca Parson, candidate au Congrès

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