Les élections régionales à Madrid : résultats, analyses et quelques enseignements pour la gauche française.

La présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso (© Comunidad de Madrid).

 

Premier volet : les résultats.

La région (ou Communauté autonome) de Madrid a organisé les quatrièmes élections espagnoles en période de pandémie le 4 mai dernier. Ce furent des élections anticipées, déclenchées par la décision de la présidente, Isabel Díaz Ayuso (Parti populaire, droite), de dissoudre la chambre régionale pour éviter de subir une motion de censure.
Díaz Ayuso, une presque inconnue lorsqu’elle a été portée à la tête de la région en 2019 à la faveur d’un pacte avec Ciudadanos (centre-droit libéral) et Vox (extrême-droite), se présentait devant les électeurs après deux années insolites. Ces dernières ont été marquées par les dissensions internes au gouvernement régional entre la présidente et les conseillers de Ciudadanos ; la paralysie législative d’une majorité qui ne put adopter qu’une seule mesure – une énième loi d’urbanisme – et aucun budget ; et, enfin, la pandémie de Covid-19, dont les effets à Madrid ont été dévastateurs. Depuis son accession à la présidence de la région, Díaz Ayuso s’est engagée dans une stratégie très offensive vis-à-vis du gouvernement national de Pedro Sánchez (PSOE), qui s’est manifesté plus particulièrement par un ensemble de mesures sanitaires en décalage avec les préconisations de l’État central.
Le déroulement de la campagne et ses résultats ont eu des effets qui dépassent les limites de la région madrilène. L’ensemble du paysage politique national a été secoué par un séisme majeur dont l’ampleur des répliques dans d’autres territoires, comme l’Andalousie, reste à ce jour incertaine.
Dans ce premier volet nous examinerons les résultats de ces élections. Dans le prochain, nous analyserons leurs conséquences sur le paysage politique national et dans un dernier volet nous tâcherons de tirer quelques enseignements pour la gauche française.

Les résultats : l’écrasante victoire du Parti populaire de Díaz Ayuso et la recomposition des forces à gauche comme à droite.

Les élections madrilènes du 4 mai 2021 ont laissé derrière elles trois groupes de partis : les gagnants (I), ceux qui restent au même niveau (II) et les perdants (III).

I. Les gagnants.

1. Le Parti populaire d’Isabel Díaz Ayuso.

Comme la plupart des sondages l’avait prévu, ces élections ont accouché d’une victoire écrasante du Parti populaire de Díaz Ayuso (la précision est importante comme nous le verrons par la suite). Celui-ci est passé de 30 à 65 sièges (sur un total de 136) en gagnant 900.000 voix par rapport à 2019. Avec un taux de participation en hausse (+12%), il a retrouvé des niveaux de soutien électoral comparables à ceux de 2011, avant que le mouvement des Indignés (2011) et l’apparition de Podemos (2014) ne bouleversent le paysage politique national. Au total, le Parti populaire a obtenu plus de voix et de sièges que l’ensemble de la gauche (PSOE+Podemos+Más Madrid).
Cette victoire incontestable est celle de la transversalité : Díaz Ayuso a su capter, avec un discours axé autour de la défense de la liberté en période de pandémie, un électorat extrêmement divers. Une donnée particulièrement éclairante est celle qui concerne le choix électoral en fonction des revenus. Traditionnellement, et de manière très simplifiée, deux variables déterminent la répartition des électeurs entre la droite et la gauche à Madrid : l’âge et le niveau de revenu. Schématiquement, la droite remporte les élections depuis plus de 25 ans avec le soutien massif des 30% les plus riches, des scores honorables mais minoritaires entre les 30% les plus riches et la médiane et l’abstention des 50% les plus pauvres qui votent majoritairement pour la gauche (cf. graphique 1). Par ailleurs, les électeurs plus âgés ont plus tendance à voter conservateur. Cependant, lors des dernières élections, la droite a été majoritaire dans toutes les classes de revenus sauf parmi les 30% les plus pauvres. Elle a de même gagné des électeurs parmi les plus jeunes (cf. graphique 2).
Díaz Ayuso a donc largement remporté le pari de la dissolution : elle s’est débarrassée de ses encombrants alliés de Ciudadanos pour mieux les dévorer et a obtenu assez de sièges pour ne pas être politiquement contrainte de négocier un gouvernement avec l’extrême-droite (Vox). La présidente peut désormais gouverner librement pendant les deux ans qui viennent.


Graphique 1.


Graphique 1
Graphique 2.


Graphique 2
2. Más Madrid.

La scission de Podemos, issue de l’affrontement entre Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, est devenue la deuxième force politique de la région en obtenant 24 sièges (+4 par rapport à 2019) et une hausse de 30% des voix. Plus encore, Más Madrid a dépassé le PSOE en nombre de voix (et l’a égalé en nombre de sièges), ce qui en fait de facto l’opposition à Díaz Ayuso au sein de l’Assemblée régionale.
Más Madrid s’est présenté comme un parti “féministe et écologiste”, reprenant à son compte les deux vecteurs les plus puissants de la mobilisation politique à gauche ces dernières années. Ce parti a axé sa campagne autour d’une vision de transformation politique ambitieuse, alliant relance écologique, protection des services publics et défense des métiers du liens. La candidate Mónica García, anesthésiste à l’hôpital public et porte-parole du groupe parlementaire à l’Assemblée régionale depuis 2019, a su conduire une campagne “positive” et reconnecter avec un électorat éloigné du PSOE.
Le résultat de Más Madrid demeure, néanmoins, une maigre consolation au regard de l’état général de la gauche madrilène.

II. Celui qui stagne.

1. Vox.

Ce parti politique fondé en décembre 2013 est venu rompre la spécificité espagnole en matière de représentation institutionnelle de l’extrême-droite. En effet, l’Espagne était perçue depuis la fin du franquisme et la transition vers la démocratie libérale (1975-1978) comme une exception en Europe car l’extrême-droite ne parvenait pas à articuler une offre politique propre. Les raisons étaient nombreuses, à la fois institutionnelles (domination du bipartisme permise par un système électoral majoritaire) et politiques (accaparement par le Parti populaire de l’ensemble de l’espace à droite de l’échiquier). Les motifs de l’émergence de Vox cinq années après sa création sont essentiellement au nombre de quatre : 1) le discrédit du Parti populaire en raison des scandales politico-financiers qui ont révélé un système structurellement corrompu ; 2) l’incapacité du gouvernement de Mariano Rajoy à répondre fermement à la crise indépendantiste en Catalogne ; 3) les effets de la concurrence entre le Parti populaire et Ciudadanos, qui conduisit mécaniquement à déplacer les positions de ces deux partis vers la droite et à “banaliser” le discours de Vox et 4) le constat de politique comparée avec l’envol des options politiques se situant dans l’orbite de l’Internationale réactionnaire promue par Steve Bannon.
L’émergence de ce parti a pu contester l’hégémonie du Parti populaire à droite, voire même s’y substituer, comme en Catalogne lors des élections de février 2021. Cependant, il est plutôt arrivé que Vox agisse comme la béquille du Parti populaire, lui permettant d’atteindre la majorité absolue dans plusieurs territoires.
Les élections du 4 mai sont les premières depuis 2018 au cours desquelles Vox n’améliore pas ses résultats de manière significative. L’élan qui lui a permis d’entrer dans une institution représentative en décembre 2018 pour la première fois, de consolider sa présence dans plusieurs régions puis de gagner 52 sièges au parlement national a été freiné par la très bonne image dont bénéficie Isabel Díaz Ayuso parmi les électeurs du parti ultra.

III. Les perdants.

1. Le PSOE.

Le PSOE est, avec Ciudadanos, le grand perdant de ces élections. Premier parti lors des élections de 2019 avec 37 sièges et plus de 27% des voix, il se retrouve le 4 mai avec 24 sièges (-13) et moins de 17% des voix (-10 points). La campagne erratique de la tête de liste, Ángel Gabilondo, et le vote-sanction contre le gouvernement de Sánchez ont provoqué les pires résultats du PSOE dans la région de Madrid depuis les premières élections contemporaines en 1983. La saignée de voix a été d’autant plus importante que, cette fois-ci, un parti politique à la gauche du PSOE sans être l’extrême-gauche classique (Más Madrid) a pu constituer un vote refuge pour les électeurs socialistes mécontents. L’engagement de Pedro Sánchez et de ses collaborateurs – dont Iván Redondo, son directeur de cabinet – dans la campagne peut constituer un risque réel d’affaiblissement du président. Celui-ci a en effet imposé sa liste et sa stratégie au candidat Ángel Gabilondo, qui a tenté pendant les premières semaines de campagne de capter les électeurs de Ciudadanos en proposant notamment de ne pas modifier la structure fiscale de la région, connue pour être très inégalitaire. Après le premier débat télévisé, Gabilondo a ostensiblement tendu la main à Pablo Iglesias, tête de liste de Podemos, pour “gagner les élections ensemble” et répliquer le gouvernement de coalition à l’échelle régionale. Ce virage a brouillé les pistes et visiblement confondu les électeurs. Par ailleurs, Ángel Gabilondo, professeur universitaire de philosophie de 72 ans au tempérament calme et conciliant, n’est pas parvenu à trouver sa place dans une campagne très polarisée et articulée autour de slogans apocalyptiques. Díaz Ayuso a d’abord posé comme clivage structurant de la campagne la lutte entre “liberté ou socialisme” puis, lorsque Pablo Iglesias est entré en scène pour conduire la liste de Podemos, elle a rectifié et adopté le slogan “liberté ou communisme”. Après une échauffourée entre Pablo Iglesias et Rocío Monasterio, la tête de liste de Vox, à propos de menaces de mort que le premier a reçu et que la seconde a refusé de condamner explicitement, Iglesias a abandonné un débat à la radio. A partir de ce moment-là, il a décliné toute forme de débat avec le parti d’extrême-droite en affirmant qu’il s’agissait, dans ces élections, d’opposer la démocratie au fascisme. Ángel Gabilondo lui a emboîté le pas et adopté comme slogan “No se trata solo de Madrid, se trata de Democracia”. Mais un tel virage ne convenait pas à la personnalité posée du candidat socialiste et n’est pas parvenu à mobiliser un électorat qui n’adhère pas à ce récit eschatologique et ne comprend plus où se situe le PSOE par rapport à Podemos.

2. Ciudadanos.

Le parti de centre libéral fondé en 2006 est en chute libre depuis les élections législatives de 2019 et sa survie à moyen terme semble sérieusement compromise. Son effondrement est d’autant plus frappant qu’il venait, depuis 2017, de consolider sa place comme parti national et sa présence dans toutes les régions sauf les Canaries. Cependant, les élections législatives de novembre 2019 constituent ses pires résultats : Ciudadanos perd 2,5 millions de voix (60% de son résultat de novembre) et ne parvient à garder que 10 sièges sur 57. Le refus ferme de son leader Albert Rivera de négocier l’investiture de Sánchez l’a ramené à des positions analogues à celles du Parti populaire et de Vox. Il est le grand perdant de la course à l’extrême-droite dans laquelle se sont engagées ces trois formations politiques. Albert Rivera a dû démissionner de ses fonctions organiques et institutionnelles. Ensuite, les élections catalanes de février 2021 ont confirmé cette tendance : Ciudadanos perd 940.000 voix (85%) et 30 sièges sur 36. C’est un second coup de tonnerre en moins de deux ans. Enfin, ce qui semble être le coup de grâce arrive dans la région de Madrid. Le parti orange, alors qu’il occupait la troisième place en 2019 avec 630.000 voix et 26 sièges, n’a réussi à obtenir que 129.000 voix lors des dernières élections, ce qui le conduit à perdre toute représentation à l’Assemblée régionale. Surtout, il passe de gouverner la région en coalition avec le Parti populaire à disparaitre des institutions.
Finalement, tout semble indiquer que le pari de bâtir un “Podemos de droite” n’a pas résisté à la forte concurrence qui s’est installée entre le Parti populaire, Ciudadanos et Vox. Le fait que la dispute se soit déplacée vers des positions très dures vis-à-vis du conflit catalan a favorisé l’émergence et la consolidation de Vox. D’autre part, la capacité de résilience du Parti populaire a été sous-estimée et, malgré les scandales de corruption qui ont abîmé sa base électorale et conduit à la motion de censure contre Mariano Rajoy en 2018, celui-ci a fini par engloutir l’espace électoral de Ciudadanos. Ce dernier a été incapable de tenir une ligne centriste-libérale, confirmant la malédiction qui pèse en Espagne sur cette famille politique.

3. Podemos.

Le parti de Pablo Iglesias se trouve, après le 4 mai, dans une position paradoxale. D’une part, il est parvenu à dépasser 5% des voix et, donc, à maintenir un groupe parlementaire dans l’Assemblée de Madrid, ce qui n’était pas gagné d’avance. Il a même gagné 3 sièges et obtenu un meilleur score qu’en 2019. Mais il confirme, d’autre part, sa position de dernier parti à gauche, loin derrière Más Madrid et le PSOE. Surtout, la prise en main de la campagne par Iglesias, qui a démissionné de ses fonctions comme vice-président, n’a pas permis de mobiliser massivement en sa faveur. Au contraire, il semble que la candidature d’Iglesias ait plutôt coalisé le vote à droite contre le spectre du gouvernement de Sánchez. Finalement, de manière tout aussi paradoxale, si Podemos a sauvé les meubles dans cette élection, il a toutefois perdu son leader “historique” après la démission de Pablo Iglesias de toutes ses fonctions organiques et institutionnelles. Cela provient d’une décision calculée car il semblait évident que la bataille de Madrid serait la dernière (pour l’instant) dans sa (jusqu’à présent) courte et intense carrière politique. Les raisons ne sont pas tant politiques – puisque Podemos, comme nous l’avons dit, a récolté des résultats honorables – mais personnelles. Tout au long des six années passées sur le devant de la scène politique nationale, Iglesias a fait l’objet d’une campagne extrêmement violente de dénigrement systématique de la part de l’écosystème médiatique conservateur. Le secrétaire général de Podemos a même été visé par de faux PV d’enquête montés de toutes pièces par une “brigade patriote” de la police nationale instrumentalisée à des fins politiques et, depuis trois ans, des manifestants se pressent chaque jour devant sa maison pour l’insulter. La démission de Pablo Iglesias doit permettre de donner un souffle nouveau à une formation politique jeune mais dont l’espace électoral se rétrécit depuis 2016, après une entrée fracassante au parlement en 2015.

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