« La France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes » [1]

 

Le droit d’asile est consubstantiel à l’idéal républicain. Déjà la Constitution de l’an I proclame que « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il la refuse aux tyrans. » A la Libération, il est solennellement réaffirmé dès le préambule de la Constitution marquant ainsi l’importance qui lui est accordée.

 

L’esprit et l’effectivité de ce droit sont aujourd’hui mis en danger. Le projet de loi asile et immigration est tout entier habité par une logique de suspicion, Hospes Hostis[2], tendant à faire primer des considérations répressives sur les droits fondamentaux. Il organise un traitement expéditif des demandes d’asile en multipliant l’emploi des procédures accélérées. Il engage également les réfugies dans une course contre la montre en resserrant les délais de recours des demandeurs avec pour résultat attendu la multiplication du nombre de « déboutés ». Il met en place un renforcement inédit des moyens coercitifs d’enfermement et d’éloignement dans le prolongement des nouveaux outils de surveillance des centres d’hébergement d’urgence mis en place par la circulaire du 12 décembre 2017.

 

Pour justifier sa politique, le ministre de l’intérieur a cédé à l’image de « la submersion » de notre pays par des étrangers qui fuient pourtant la guerre et la misère. Mais la réalité est aux antipodes. Entre 2012 et 2016, le nombre de demandeurs d’asile a progressé légèrement en France de 60 000 à 85 000. Dans le même temps, il passait en Allemagne de 80 000 à plus de 700 000 tandis que le Liban gère depuis le début du conflit syrien la présence de plus d’un million de déplacés sur son sol. Notre tradition d’accueil s’essouffle et la France n’est plus le refuge qu’elle fut hier pour les persécutés du monde entier.

 

Le durcissement des conditions d’accueil est pourtant vain et source de troubles. Sans décourager les départs des réfugiés vers l’Europe, il les contraint, à l’arrivée, à une forme de clandestinité, à la vie dans les bois, aux situations de désordre public qui font notre actualité et alimentent la colère légitime des Français.

 

Le Gouvernement trouve toutefois à se consoler dans la popularité de sa politique. Or celle-ci est plus supposée que réelle. Partout les élus locaux comme le maire de Grande-Synthe, dans le Nord, ou le maire de Palerme, en Italie, qui ont organisé l’accueil des migrants ont été solidement soutenus par leurs administrés. L’édile sicilien qui avait osé déclarer « en Sicile, une chose très belle est arrivée, nous avons été envahis par les immigrés » a été le seul maire d’Italie réélu au premier tour. Il y a une prime citoyenne au courage politique et à la défense de l’humanisme européen.

 

Une politique migratoire de gauche doit s’inspirer de ce courage et proclamer avec fierté Hospes Hospiti Sacer[3]. Elle doit affirmer la centralité de la personne humaine et déborder la question de l’asile politique. Le projet de loi semble porté par l’idée qu’une politique d’accueil des réfugiés implique d’opérer une distinction entre «vrais» demandeurs d’asile et migrants dits «économiques». Or, une telle distinction est inopérante dans les faits – les causes de l’exil sont toujours multifactorielles – et il existe un continuum de situations individuelles.

 

Dans ce contexte, nous proposons un nouveau statut du réfugié en situation « de détresse humanitaire ». Ce statut serait fondé sur des critères débordant la persécution politique en tenant compte de la détresse économique, de celle résultant du changement climatique ou encore de celle liée à la survenue de grandes catastrophes sanitaires.

 

Dans le même temps, il nous faut assurer la soutenabilité de l’accueil en maîtrisant les flux humains à moyen et long terme. Une telle stratégie implique une action diplomatique de la France et de l’Europe pour stabiliser le Moyen-Orient et un vaste plan Marshall européen pour l’Afrique. Il est inconcevable à long terme, qu’un océan de prospérité, l’Europe, soit séparé par quelques centaines de kilomètres d’un océan de pauvreté sans susciter d’importantes migrations.

 

Dans l’immédiat, porter l’effort français d’aide au développement à 0,7% du PIB, conformément à nos engagements internationaux, serait salutaire. La France doit aussi, sur le modèle de l’accord de Paris pour le climat, prendre rapidement l’initiative d’une conférence internationale des grandes migrations car comme l’indique justement Malraux dans son Hommage à la Grèce : « La France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes. »

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] A. Malraux

[2] Tout étranger est un ennemi

[3] L’hôte est sacré pour celui qui le reçoit.

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