Dans la note intitulée «La judiciarisation de la vie politique : un mal nécessaire ?», pilotée par le rapporteur Pierre-Eugène Burghardt – avocat au barreau de Paris – Hémisphère gauche plaide pour remettre le pouvoir législatif au cœur de la vie démocratique en passant d’une responsabilité pénale d’un ministre à une responsabilité politique devant le Parlement.

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Un spectre a hanté la crise sanitaire : la responsabilité individuelle. Face à la faillite de l’État, la responsabilité de chaque citoyen a été comme décuplée pendant cette épreuve : il a été sommé de respecter les gestes barrières, de remplir des attestations, de se mettre lui-même à l’isolement, puis de se faire vacciner pour retrouver une vie aux allures de normalité.

La crise a également été l’occasion de réinterroger la responsabilité des membres du gouvernement et de l’exécutif et notamment leur responsabilité pénale. Paul Ricœur voyait dans la société actuelle « une résurgence sociale de l’accusation » dont la dynamique peut être expliquée par « la recherche permanente d’un responsable (…) capable d’indemniser ou de réparer ». Cette volonté vindicative de trouver dans tout phénomène social, une explication et un responsable, a été démultipliée par la situation sanitaire et les juges administratifs et judiciaires ont ainsi eu à se saisir de très nombreux recours et plaintes visant à trouver un exutoire à une crise qui a profondément bouleversé nos rapports avec les libertés individuelles.

Dans une société qui tend à se judiciariser de plus en plus, les ministres ont pu être visés par des plaintes les mettant en cause pour leur action dans la conduite de la gestion de la crise sanitaire. Ont été visés l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn, l’actuel ministre de la santé Olivier Véran pour « mise en danger de la vie d’autrui », l’ancien ministre de l’intérieur Christophe Castaner pour « entrave aux mesures d’assistance » en raison de clusters apparus lors des élections municipales de 2020, ou encore l’éphémère secrétaire d’État Laurent Nuñez pour une absence de distribution de masques.

Le phénomène de judiciarisation désigne en première approche l’immixtion du juge répressif dans la sphère politique. Plus largement, il recouvre l’expansion du rôle du juge à l’instar de l’accroissement du contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois et de la Cour des comptes sur les finances publiques. Toutes ces évolutions ont pour pierre angulaire la prise en compte croissante par le juge de nouveaux champs de compétences à la lisière de la décision publique.

La judiciarisation de la vie politique est une tendance qui s’affirme depuis des années au nom de la moralité et de l’exemplarité des élus et des gouvernants, sans que ne soit interrogé ses vertus et ses présupposés. L’action publique fait l’objet d’un risque pénal accru, corollaire d’une perte progressive de la responsabilité politique du pouvoir exécutif. Au delà de la légitime satisfaction des plaintes individuelles, cette tendance déplace l’équilibre existant entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale. Derrière les deux responsabilités, c’est l’enjeu de la séparation des pouvoirs qui est interrogé.

Dans le discours d’ouverture des Etats Généraux de la Justice prononcé par le président de la République le 8 octobre 2021, Emmanuel Macron a dénoncé « la judiciarisation de la vie politique », conséquence selon lui d’une « pénalisation » des rapports sociaux, menée par des « citoyens devenus procureurs », sans revenir sur l’enjeu de la séparation des pouvoirs et de leurs l’équilibre en démocratie. Cette absence traduit une crispation. Elle dé- note une inquiétude et une évolution des sentiments d’Emmanuel Macron à l’égard de l’autorité judiciaire. En cette fin de quinquennat, marqué par la gestion de la crise des gilets jaunes ou de la crise sanitaire, la chose judiciaire s’est immiscée au cœur de l’action publique et, désormais la moindre ingérence est vue comme une remise en cause de la personne du Président de la République.

Conséquence du presidentialisme, la dualité entre politique et judiciaire, se résume à un rapport de force entre l’exécutif et l’autorité judiciaire. Le grand absent de ce débat est finalement le Parlement. Repenser la place du juge dans la sphère de décision publique impose d’adopter une réflexion plus large visant à repenser l’équilibre institutionnel lié au fonctionnement de la Vème République. C’est précisément parce que le Parlement a été désengagé de son rôle de contre-pouvoir que l’office du juge pénal a comblé le vide créé par cette situation.

Cette note s’inscrit donc dans la perspective d’une revitalisation du rôle du Parlement en tant qu’autorité de contrôle de l’exécutif et propose une re- fonte de la responsabilité des ministres. D’un régime à la coloration pénale, celui-ci doit désormais muter vers une responsabilité politique exclusive- ment soumise à l’appréciation du Parlement.

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