Par Alexandre Ouizille.
Le premier ministre a annoncé le gel des hausses des prix du carburant prévues au 1er janvier 2019. J’ai encore peine à le croire tant ma conviction était que le président de la République avait fait le choix de l’inflexibilité thatchérienne pour briser le mouvement, quoi qu’il en coûte.
Les retours alarmistes des préfets, les scènes de fraternisation de certains CRS avec des gilets jaunes et surtout l’indéboulonnable soutien populaire que chaque sondage confirme ont sans doute eu raison de la politique du pire.
Mais le gouvernement est à contretemps, en l’espace de trois semaines le mouvement a muté. Les silences du président de la République ont été vécus comme des insultes par des citoyens peu perméables à la théorie du maître des horloges. Il y a quelque chose de l’ordre du personnel entre les gilets jaunes et Macron qui s’est immiscé dans les revendications. La volonté d’humilier a changé de camp. Pour sortir debout du ring, il y a fort à parier que le président de la République va devoir sacrifier plus que l’équilibre de son budget.
Quel sera le prix à payer ? Nul ne le sait. Le départ du Premier ministre comme l’espère de façon de plus en plus explicite une partie de la majorité ? La dissolution de l’Assemblée nationale ? Une hausse du SMIC comme la revalorisation de janvier lui en donne l’occasion ? De minuscules retours sur la politique fiscale de l’exécutif ?
Peut-être rien du tout. L’arrivée des fêtes, un soutien du mouvement en baisse une fois le gel obtenu, une démobilisation des manifestants, pourraient arrêter net la marée fluorescente. Les gilets jaunes retomberaient dans les limbes ne parvenant pas à dépasser les limites de l’auto-organisation et le passage à la structuration achoppant où Nuit Debout, dans un autre registre, avait déjà échoué.
A l’inverse, un scénario radicalement contraire est envisageable. Le mouvement se structure, devient une force politique à l’instar des 5 étoiles en Italie et présente une liste aux prochaines élections européennes produisant une déflagration politique comparable à celle d’En marche à l’élection présidentielle.
Rien n’est sûr. Le brouillard est épais. La reconfiguration de l’espace politique demeure inachevée. Peut-être d’ailleurs l’espace public est-il devenu durablement instable, liquide, sans point fixe et la reconfiguration permanente un nouvel état des choses.
Ce qui est sûr, c’est que nos théories modernes de la représentation sont épuisées. Trop souvent, nous socialistes, nous en tenons à cette déploration. Elle ponctue nos discours lacrymaux. Comment faire une social-démocratie sans corps intermédiaire marmonne-t-on tristement ?
Peut-être devons-nous accueillir l’idée que toute parole nouvelle refuse désormais de se fondre dans des structures qui lui préexistent car celles-ci sont, du fait même de leur préexistence, réputées corrompues ? Peut-être devons-nous accepter que nos corps intermédiaires s’agrègent et se désagrègent de manière rapide et qu’ils coexistent avec des formes de structuration plus traditionnelles de la démocratie comme le régime d’Assemblée. Cette forme de surgissement, pour peu qu’il soit organisé et du même coup non-violent, est peut-être une nouvelle modalité de la démocratie.
Nous en sommes là. Les gilets jaunes suscitent plus de questions que de réponses. La France redevient, après un long sommeil, un laboratoire politique. Espérons pour le meilleur.