New power – Nouveau (contre) pouvoir en français – est le titre du livre éclairant de Jeremy Heimans et Henry Timms, qui a pour ambition de démontrer comment le pouvoir traditionnel, détenu par quelques-uns, est de plus en plus menacé par un nouveau pouvoir, basé lui sur le partage et les nouveaux outils d’un monde hyper-connecté. New power offre une plongée irrésistible et vertigineuse dans les arcanes d’un nouveau pouvoir aux multiples succès et présente une première analyse, vue de l’étranger, du mouvement des Gilets Jaunes.

De la création de Facebook en 2004 aux changements majeurs opérés dans la société par les mouvements Black Lives Matter ou encore #MeToo en 2018, l’essai des deux auteurs est bien plus qu’un livre ; c’est un véritable guide pour quiconque voudrait créer un mouvement sociétal à l’impact fort, en utilisant tous les outils qui existent actuellement, en particulier les réseaux sociaux et les nouvelles plateformes militantes, pour le partager avec le plus grand nombre. Plus encore, ce livre formalise une nouvelle conception du mouvement social, basée sur des principes forts comme la collaboration et la participation, la décentralisation et l’auto-organisation.

 


Qui sont les deux auteurs Jeremy Heimans et Henry Timms ?

Jeremy Heimans est le co-fondateur et président de Purpose, une organisation qui soutient les entreprises ou mouvements qui promeuvent une société plus ouverte et plus juste. Il a notamment conseillé la fondation Bill and Melinda Gates, Google et l’UNICEF. Il s’est d’abord fait connaitre en Australie – son pays d’origine – avec la création du mouvement politique GetUp! qui a mis en difficulté le gouvernement conservateur, après leur réélection en 2005, grâce à un activisme novateur basé sur les nouveaux outils propulsés par Internet. Dans New power, Jeremy Heimans revient sur les raisons de la création de ce mouvement et de son succès fulgurant: GetUp! dispose ainsi désormais de plus d’adhérents que tous les autres partis politiques australiens réunis.

Henry Timms est quant à lui le président du centre culturel 92nd Street Y, situé à New York, qui propose un programme artistique varié à ses adhérents, allant de la danse à la musique, en passant par la projection de films ou encore des lectures publiques de livres. Il est également professeur honoraire à l’Université de Stanford. Il est surtout connu pour avoir créé #GivingTuesday, la journée internationale de la philanthropie, en utilisant au bon moment le pouvoir de mobilisation et de partage des réseaux sociaux pour créer un formidable élan de générosité à travers le monde. Un autre exemple de l’utilisation du nouveau pouvoir que le co-auteur explique dans son livre.

 Le nouveau pouvoir, c’est quoi ?

La thèse des deux auteurs repose sur un constat simple : le pouvoir traditionnel, tel qu’il a été exercé jusqu’au début des années 2000, s’est transformé. Historiquement vertical, avec une influence détenue par un nombre limité de personnes, le pouvoir s’est démultiplié comme un courant électrique qui parcourrait la société et pousserait les plus déterminés à la modifier en profondeur. L’expertise n’est plus l’apanage d’une élite qui ferait ensuite profiter de son savoir une minorité. Désormais, l’expertise est accessible à tous, principalement grâce à internet. Les citoyens peuvent se l’approprier et diffuser leurs idées au plus grand nombre. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les nombreux exemples édifiants dans leur livre, comme celui du mouvement #MeToo, parti d’un simple hashtag sur Twitter et sur Facebook, ou encore celui de Black Lives Matter, qui a pour origine l’activisme de 3 femmes afro-américaines qui ont su mobiliser toute une communauté, à partir de l’été 2013, à l’aide d’une simple plateforme de mobilisation disponible en ligne.

Le premier à avoir adopter les préceptes du nouveau pouvoir est Barack Obama, avec sa campagne pour les élections présidentielles de 2008. Il a misé sur une plateforme participative géré comme un réseau social, My.BarackObama.com, pour mobiliser ses militants, coordonner leur action et co-construire son programme. Sur cet outil, plus de de 35 000 comités locaux ont créé plus de 200 000 événements en lien avec la campagne du futur président. Du jamais vu. Le concept de cette plateforme a été depuis imité par de nombreux candidats et organisations politiques à travers le monde. En 2009, la plateforme « Nation Builder » a même été spécialement créé pour eux. Elle permet d’animer et de gérer facilement la base de données des militants et des sympathisants, mais aussi de récolter l’argent des dons. Aux USA, « Nation Builder » sera utilisé par Donald Trump en 2016, dans le cadre de sa campagne aux primaires républicaines. En France, Bruno Le Maire et Alain Juppé l’utiliseront également en 2017 dans le cadre de leur candidature à la primaire de la droite, comme Jean-Luc Mélenchon pour son mouvement La France insoumise. Aujourd’hui, « Nation Builder » se partage un marché juteux avec deux autres plateformes, « Blue State Digital », qui s’est occupé des campagnes d’Obama, et « NGP VAN », choisi par Hillary Clinton et Bernie Sanders.

Les autres exemples du livre permettent d’identifier les nombreuses autres caractéristiques du nouveau pouvoir et, par ricochet, de redéfinir l’avenir des mouvements sociaux. Les plus belles réussites récentes sont celles qui ont fait la part belle à la participation et à l’auto-organisation de simples citoyens, et plus forcément des militants, dans l’optique de changer le monde en dénonçant des situations devenus intenables socialement. Plus besoin d’appartenir à une structure identifiée à l’influence établie. La force de conviction et la simplicité des outils mis à la disposition des communautés d’opinion sont désormais le moteur des plus motivés et des plus engagés. Les causes soutenues surgissent alors dans les débats de société, sans le filtre médiatique pour les modérer. Les opinions défendues envahissent les réseaux sociaux où tout le monde a un avis, obligeant les politiques notamment à se positionner rapidement. L’histoire contemporaine des mouvements sociaux s’en trouve alors modifiée. Les grandes structures qui avaient l’habitude de lancer les débats doivent désormais s’adapter à cette nouvelle société, libre de défendre comme bon lui semble les causes qui lui tiennent à coeur.

Ce constat rejoint celui de Yascha Mounk, chercheur, maître de conférences à l’université Harvard et journaliste indépendant. En 2018, dans son essai « Le peuple contre la démocratie », il interrogeait la crise de nos démocraties, en pleine montée des populismes en Europe et dans le monde occidental ; symptôme selon lui d’une crise profonde du système politique. Dans son essai, Yascha Mounk essayait également de comprendre l’impact des réseaux sociaux sur le champ politique qui s’affranchissent de tout jugement moral, pour mettre en exergue leur potentiel de déstabilisation, en conférant à certains groupes (citoyens, militants…) la possibilité d’entrer et de participer à l’arène politique.

Une société en quête de reconnaissance, à l’image du mouvement des Gilets Jaunes

Les bouleversements engendrés par le nouveau pouvoir ont donc nourri les désirs et les besoins d’une société en quête de (re)connaissance et de participation, en témoigne la défiance envers l’appareil politique et les experts de pacotille. Ainsi, dans leur livre, les deux auteurs reviennent d’ailleurs longuement sur le mouvement des Gilets jaunes qui est, selon eux, un exemple parfait du nouveau pouvoir, surprenant le pouvoir traditionnel mais aussi les syndicats par son ampleur. Ce mouvement s’est nourri rapidement de la détermination d’une base active, prête à utiliser tous les outils de partage en sa possession pour mobiliser le plus grand nombre. Ils se sont organisés sur Facebook, ont créé leurs propres médias (webradios, chaines Youtube, etc.) pour rendre compte de leur action. Selon un sondage mené en décembre 2018, 59 % des Français qui se définissent comme des Gilets jaunes utilisent d’abord les réseaux sociaux lorsqu’ils s’informent en ligne (contre 37 % pour l’ensemble des Français), avant les portails d’actualité ou les sites des grands médias. Selon Mediapart, « les médias traditionnels, et par extension la majorité des journalistes, sont critiqués par les militants parce qu’ils incarnent une forme de médiation, de représentation, refusée par le mouvement ». Pour le sociologue Gérald Bronner, professeur à l’université Paris-Diderot, « ce mouvement est une continuation d’Internet dans le monde physique. » Une complémentarité des actions menées entre sur les réseaux sociaux et celles dans la « vraie vie » déjà étudiée en 2012 par Paolo Gerbaudo dans son livre « Tweets and the Streets : Social Media and Contemporary Activism ».

Les Gilets Jaunes ont pourtant obtenu des résultats que personne, il y a encore quelques mois, n’auraient imaginé dans la vraie vie. Leur mouvement a permis une redistribution de près de 17 Mds EUR, si on additionne le coût de toutes les mesures présentées par Emmanuel Macron fin décembre puis fin avril, selon le ministère de l’Économie et des Finances. Ce succès des Gilets Jaunes n’a pas surpris les deux auteurs de New power. Durant tout cet épisode, le plus surprenant pour eux aura été l’attitude et les réactions d’Emmanuel Macron qui, le premier lors de la campagne de 2017, a utilisé les préceptes du nouveau pouvoir pour créer son mouvement – et non un parti politique – en s’appuyant sur la force de mobilisation de ses militants et leur sens de l’organisation. Mais une fois à l’Elysée, il n’a pas su dépoussiérer ni la fonction présidentielle, ni sa façon de parler aux français, s’enfermant dans une pratique du pouvoir qui l’a éloigné de la réalité, provoquant même un assez rapide rejet de sa politique et de sa personne. Pour beaucoup, une fois au pouvoir, Emmanuel Macron s’est trop facilement accommodé des pratiques de la cinquième République, ses institutions, oubliant comment il était arrivé au pouvoir.

Une nouvelle forme de mouvements sociaux, à l’image de Reddit, quasiment inconnu en France

Le succès du nouveau pouvoir repose donc sur la capacité d’un groupe d’individus à faire adhérer les plus motivés à leur cause. La victoire d’Obama en 2008, loin d’être acquise quand il se lance dans la course à l’élection présidentielle, a été rendu possible grâce à une mobilisation rarement rencontrée par le passé et par la participation d’une foule de bénévoles, jeunes, qui ont investi en masse les outils du nouveau pouvoir, comme Facebook. Une tactique qui sera poussé à son paroxysme en 2016, avec l’élection de Donald Trump qui a pu compter sur la mobilisation de ses fans sur d’autres outils du nouveau monde, comme le site communautaire Reddit qui permet de voter pour des contenus proposés par les internautes.

Méconnu en France, mais très populaire aux USA, ce réseau social été créé en 2005 par deux colocataires de l’université de Virginie, Steve Huffman et Alexis Ohanian. Il compte désormais plus de 36 millions d’utilisateurs à travers le monde. Reddit a été le premier site communautaire à permettre aux internautes de s’exprimer librement sans peur de la censure dans différentes catégories, appelées subreddits, quasiment toutes liées à l’actualité. Pour beaucoup d’observateurs, on assiste sur Reddit à une « guerre des opinions » pour faire monter dans le classement principal les sujets qui influenceront les futurs débats dans la société. Pour preuve, les nombreux contenus postés sur Reddit sont bien souvent à l’origine de ceux que nous voyons ensuite repris à l’infini dans les médias.

Autre plateforme emblématique de cette liberté de ton propre aux médias sociaux : 4chan. Créé en 2003, ce forum d’abord dédié à la culture manga japonaise a connu une croissance exponentielle et s’est depuis ouvert à tous les types de sujets liés à l’actualité. Forum anonyme, 4chan attire le meilleur comme le pire, lui conférant une réputation sulfureuse. Son principe a d’ailleurs été copié par les suprémacistes blancs qui ont créé leur propre forum : 8chan.

De son côté, Donald Trump a utilisé la puissance de Twitter pour garder le lien avec sa base électorale, très active, pour outrepasser le filtre médiatique et se nourrir de leurs idées pour construire sa campagne. De nombreux observateurs de la vie politique pensent même que Twitter a permis à Donald Trump de gagner l’élection, poussant son cofondateur, Evan Williams, à présenter ses excuses : « s’il s’avère qu’il n’aurait pas été président sans Twitter, alors oui, je suis désolé », selon des propos rapportés par The New York Times, en mai 2017.

Hors du champ politique conventionnel, bons et contre-exemples de ce nouveau pouvoir

Les politiques et la société civile ne sont pas les seules à utiliser les outils du nouveau pouvoir. Des entreprises comme Lego ont su tirer parti d’une philosophie nouvelle basée sur la participation. A l’agonie, l’entreprise familiale a failli mettre la clé sous la porte au début des années 2000 quand une nouvelle stratégie commerciale a été adoptée. Celle-ci s’est appuyée sur l’expertise incontestable non pas des ingénieurs de la société mais des communautés de fans, très active sur internet, qui avaient toujours été snobées par les dirigeants de l’entreprise. Ils les ont écoutés et ont décidé de mettre en place une politique unique d’innovation ouverte et participative. Parmi ces communautés, des ambassadeurs ont été nommés et ont permis de mieux cibler les nouveaux jeux en fonction des attentes du marché. Aujourd’hui, Lego est devenu le n°1 mondial du marché du jouet devant son rival Mattel. En 2015 et en 2017, Lego sera même classée « entreprise la plus puissante au monde » par le cabinet Brand Finance pour sa capacité à développer son image mais aussi pour son habilité à convertir son image en valeur commerciale.

Le nouveau pouvoir permet donc d’obtenir des résultats facilement et très rapidement.

Daesh l’a très bien compris en investissant massivement les réseaux sociaux pour recruter de nouvelles victimes combattantes, laissant le pouvoir traditionnel et les GAFA incapables pendant longtemps de contrer l’organisation terroriste, même si la propagande y est moins présente. Selon Maura Conway, professeure à l’université de Dublin et spécialiste du cyber-terrorisme et de la radicalisation en ligne, ce sont par exemple plus de 1,2 millions de comptes Twitter qui ont été suspendus entre août 2015 et décembre 2017.

En somme, dans leur livre, Jeremy Heimans et Henry Timms font le constat d’une mutation du pouvoir. Déjà en 2014, dans un article paru sur le site internet de la Harvard Business Review, les auteurs faisaient le constat suivant : « nous avons tous l’impression que le pouvoir change dans le monde. Nous assistons à une montée de la protestation politique, à une crise de la représentation et de la gouvernance, et à des entreprises naissantes qui bouleversent les industries traditionnelles. Mais la nature de ce changement a tendance à être perçu de façon soit excessivement romantique, soit de façon dangereusement sous-estimée. (…) Ceux qui sont capables de canaliser la puissance de la foule doivent tourner leurs énergies vers quelque chose de plus fondamental : repenser les systèmes et les structures de la société pour inclure plus de monde et les rendre plus puissants. »

En d’autres termes, les organisations qui auront le plus d’influence, le plus d’impact et qui réussiront à l’avenir, sont celles qui auront le mieux intégré le besoin de participation et de co-construction de la nouvelle société, en faisant aussi preuve d’innovation, d’ouverture et de transparence.

Nouveau (contre) pouvoir – 324 pages – Editeur : Plon – 2018

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